Il n’y a pas un jour qui passe sans qu’on entende parler de pénurie ou de rupture de stock.

Pour beaucoup de gens, habitués à vivre dans l’abondance et à parcourir des rayons de supermarché pleins à ras bord, un sentiment jusqu’ici inconnu a fait surface avec la pandémie.

Tout a commencé avec le papier de toilette, puis les équipements sanitaires et de sécurité, les piscines et leurs accessoires, les électroménagers, les articles de sport et les matériaux de construction.

La pénurie de composants servant à la fabrication des puces électroniques a des répercussions importantes sur plusieurs secteurs, notamment la construction d'automobiles.

Au Liban, les couples font actuellement face à une pénurie de pilules contraceptives et de préservatifs. Les amants enflammés retournent donc à d’anciennes méthodes comme le coït interrompu et le calcul de la fertilité de la femme, a rapporté L’Orient-Le Jour au début du mois de novembre.

Les économistes défilent sur les plateaux de télévision pour expliquer comment et pourquoi les entreprises mondiales subissent les contrecoups de la pandémie.

Toute la chaîne d’élaboration d’un produit, de l’usine de fabrication jusqu’au salon du consommateur en passant par l’étape de son transport, est atteinte.

Mais ce que le consommateur retient, au bout du compte, c’est qu’il se retrouve à payer la note.

Il est alors normal qu’il se pose des questions et qu’il balance de temps en temps (comme je le fais) des phrases libératrices du genre : « Me semble que la pandémie a le dos large. »

J’écoute les explications des experts et je trouve qu’elles sont parfois remplies de bon sens, parfois difficiles à avaler.

Un déséquilibre entre l’offre et la demande, des consommateurs émergeant d’une pandémie avec l’envie de dépenser, des produits de plus en plus montés en pièces détachées dans divers pays, des raisons périphériques à la pandémie (nouvelles réalités environnementales), tout cela m’amène à comprendre et à mieux accepter ce phénomène

N’empêche…

Je suis devenu plus suspicieux. Quand j’ai entendu dire que les sapins pourraient devenir le papier de toilette du début de la pandémie, j’ai sursauté. Et j’ai tendu l’oreille.

J’ai entendu parler de rareté de la main-d’œuvre, de producteurs partis à la retraite sans pouvoir assurer leur relève, de conditions météorologiques difficiles aux États-Unis et dans l’Ouest canadien qui font que les arbres québécois sont plus demandés.

On a aussi évoqué les gels printaniers et les sécheresses de l’été dernier qui ont particulièrement touché les régions de la Beauce et de l’Estrie, là où 50 % de la production québécoise est cultivée. Ces conditions auraient fait brunir les extrémités des arbres.

Là, j’avoue que j’étais perdu. Si le Québec produit moins d’arbres, comment peut-il en exporter plus ?

Normalement, les producteurs établissent des ententes avec les grossistes ou des détaillants en juin. En septembre, on peut encore accepter des commandes. Pas cette année. Plus aucun arbre n’était disponible. Du jamais vu.

Avant de m’acheter un sapin artificiel muni de lumières clignotantes intégrées, j’ai passé un coup de fil à l’Association des producteurs des arbres de Noël du Québec (APANQ).

Sa vice-présidente en avait long à dire. « Vous aimez ça, vous les médias, le sensationnalisme, m’a dit Émilie Turcotte. Vous tentez de faire croire qu’il y aura une pénurie d’arbres. Oui, la demande est très élevée, mais il n’y aura pas de pénurie. Si l’Estrie, qui est la capitale nationale de l’arbre de Noël, ne peut fournir les Québécois en arbres de Noël, on a un problème. »

La pandémie a suscité une recrudescence de la popularité de l’arbre naturel. Nous sommes plus nombreux à rechercher la beauté et le parfum d’un arbre qui a grandi dans la nature. Nous voulons un temps des Fêtes beau et idyllique pour chasser les derniers mois. Celui qui arrive à grands pas n’échappera pas à cette tendance.

Émilie Turcotte est agronome chez BL Christmas Trees, une entreprise qui produit environ 400 000 arbres par année.

Je peux vous dire que tout ira bien. Normalement, vers le 20 décembre, il reste surtout des épinettes. Ça sera encore le cas cette année pour les retardataires. Rendus au 24, les vendeurs restent bien souvent avec des arbres. La différence, cette année, c’est que tout sera vendu. C’est une bonne chose.

Émilie Turcotte

Si les producteurs s’attendent à pouvoir répondre à la demande, une hausse de prix est toutefois à prévoir. Émilie Turcotte l’évalue entre 10 % et 15 %. Cette augmentation est amorcée depuis des années, par ailleurs.

Oui, nous devons, en tant que consommateurs, faire la part des choses. Nous vivons un tumulte mondial sans précédent dont les effets complexes auront de quoi occuper les experts en économie pour les 50 prochaines années.

Mais tentons de briser ce cycle qui fait qu’au moindre spectre d’une pénurie, nous nous lancions à l’assaut des magasins pour les dévaliser et créer par le fait même… cette pénurie.

Cette peur de ne pas avoir, de ne pas posséder, de passer à côté de nos habitudes et de nos repères, il faut la combattre.

Tentons de ne pas succomber aux menaces.

Oui, nous aurons un sapin cette année. Et nous pourrons même l’enguirlander avec notre surplus de papier de toilette.