C’était une promesse caquiste : la construction d’un 3lien entre Québec et Lévis, une demande qui germe depuis longtemps dans la région. Élu, le gouvernement de François Legault va de l’avant. Il construira ce tunnel.

Facture financière : 10 milliards.

Facture écologique : à définir.

Les 43 mots que je viens d’écrire dans les trois paragraphes précédents ne sont pas controversés. Mais à Québec, il y a des gens pour qui cela tient de l’hérésie.

Car il y a chez les défenseurs et les promoteurs du 3lien un zèle quasi religieux à vouloir excommunier ceux qui soulèvent des doutes face à cette infrastructure et en particulier si les critiques viennent de… Montréal. Il y a une sorte de sacralisation du 3lien et comme chacun le sait, on ne saurait contester le sacré. C’est pas de vos affaires, disent-ils, c’est un projet qui touche Québec et juste Québec, mêlez-vous de vos oignons, à Montréal !

Je n’ai qu’un mot à opposer à cette posture : non.

D’abord et avant tout, c’est un projet québécois au sens large, au sens national. La seule région de Québec ne peut pas se payer un 3lien à 10 milliards, à moins de n’en construire qu’un moignon en forme de cul-de-sac sous le fleuve.

Ce sont tous les Québécois qui vont payer pour ce projet d’infrastructure – le plus coûteux de notre génération – s’il voit le jour.

Juste là-dessus, de Chibougamau à Anjou, on a le droit d’émettre tous les bémols imaginables, de la même façon que les fans du CH peuvent décider de huer qui ils souhaitent, au Centre Bell.

L’inverse est aussi vrai. Il y a des gens à Gaspé et à Limoilou qui ont des opinions sur les saillies de trottoir, la ligne rose du métro, le REV et la réfection du Stade olympique à Montréal : ils en ont le droit.

Je souligne aussi que Revenu Québec a perçu 80 milliards de dollars sur le territoire en 2019. La région de la Capitale-Nationale a fourni 8,7 milliards du pactole. Montréal ? 23,5 milliards. Montréal fournit donc trois fois plus de dollars du Dominion au Trésor public que la Capitale-Nationale1.

Vous me voyez venir ?

On va le payer, nous aussi, ce tunnel-là, les gens de Montréal (comme ceux de Chibougamau, du reste). Au bout du compte, les Montréalais vont même le financer trois fois plus que les gens de la région de la Capitale-Nationale.

Je pense donc que le citoyen du 514 a tout à fait le droit d’occuper une partie du débat sur le 3lien. Et s’il faut absolument appliquer une logique mathématique, les Montréalais devraient avoir trois fois plus de voix que les gens de Québec…

C’est de l’hyperbole, bien sûr : je ne pense pas que Montréal devrait avoir un plus grand poids sur les débats qui se déroulent au Québec sous prétexte que le poids des Montréalais dans le Trésor public est plus grand que celui de toutes les autres régions.

J’utilise cette formule pour montrer que le 3lien n’est quand même pas la réfection d’une saillie de trottoir sur la Grande Allée. Le 3lien est financé par tous les Québécois. Juste là-dessus, tous les Québécois ont le droit de commenter le 3lien. Ça inclut le droit de le critiquer.

Mais le socle de mon argument est ailleurs. La société, c’est une belle bibitte. Des fois, tu donnes ; des fois, tu reçois. Personne ne tient vraiment de registre, personne ne te demande si tu as pris plus que tu n’as donné. C’est ça, la force d’une société.

Et les Québécois ont toujours la légitimité d’émettre un point de vue sur leur société.

Le gouvernement de François Legault a donc promis un 3lien à la région de la Capitale-Nationale.

Mais le gouvernement n’a aucune étude à offrir aux Québécois pour démontrer scientifiquement la pertinence et l’utilité d’un 3lien entre Québec et Lévis, en lieu et place d’autres solutions. Peut-être que ça viendra. À 10 milliards, me semble que c’est un… minimum.

Jusqu’ici, le gouvernement n’a réussi à gagner l’appui d’aucun expert connu, le genre d’expert qui publie des recherches scientifiques dans le domaine de la mobilité. Peut-être que ça viendra. En 2021, me semble que c’est incontournable de présenter des données probantes, s’il y en a, pour appuyer des projets, des politiques, des programmes. On ne manque pas d’experts qui publient sur la mobilité.

Le débat sur le 3lien est donc engagé. Pour la CAQ, le fait de l’avoir promis semble tenir lieu de données probantes. C’est un peu court.

Exemple : quand Régis Labeaume a critiqué le 3e lien en guise de dernier geste politique, avec plusieurs arguments à l’appui, les ténors caquistes lui ont reproché son… amertume2.

Ai-je besoin de dire que ce n’est pas un argument, ça ?

Alors, on peut l’aimer, ce 3lien. On peut ne pas l’aimer. On peut y voir les qualités ou les défauts que l’on souhaite. Mais une chose est absolument certaine : tous les Québécois ont absolument le droit d’avoir un point de vue sur le 3lien, où qu’ils vivent.

1. Consultez l'article de Radio-Canada « Quelles régions paient le plus d’impôt au fisc québécois ? » 2. Consultez l'article de Radio-Canada « La lettre de Labeaume teintée
d’“amertume”, selon les ténors de la CAQ »