Depuis dimanche, depuis que Thomas Trudel, 16 ans, s’est effondré sur un trottoir du quartier Saint-Michel, tout le monde répète que nous avons affaire à un geste de violence complètement gratuit.

Tout le monde a tort. Ce n’était pas gratuit. Cette violence-là va coûter cher. Horriblement cher. À Montréal. Aux habitants de Saint-Michel. Aux jeunes qui ont peur – et qui risquent de s’armer à leur tour, pour se protéger.

Un cercle vicieux s’installe, en même temps que la peur.

Il faut tout faire pour le rompre.

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Bien sûr, on parle de violence gratuite parce que Thomas n’avait apparemment rien fait pour mériter de recevoir une balle en pleine tête, en pleine rue.

Il n’appartenait pas à un gang de rue. Il ne trempait pas dans des affaires louches. Il rentrait sagement du parc, à 21 h, comme ses parents le lui avaient demandé.

Bref, ça aurait pu arriver à n’importe qui. À vous, à moi. À vos enfants. C’est tombé sur Thomas. Le caractère arbitraire de son assassinat le rend encore plus terrifiant.

Il est évidemment trop tôt pour sauter aux conclusions. L’enquête est en cours ; on ne sait toujours pas ce qui s’est passé. Peut-être une initiation liée aux gangs de rue. Peut-être une erreur sur la personne. Peut-être rien de tout ça.

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Ce qui glace le sang de Mohamed Mimoun, coordonnateur du Forum Jeunesse de Saint-Michel, c’est la facilité avec laquelle les jeunes trouvent désormais des armes à feu. Et la légèreté avec laquelle ils s’en servent.

« Les jeunes peuvent sortir une arme pour n’importe quoi, dit-il. Ça peut être un conflit, une chicane, une fille, un commentaire sur les réseaux sociaux. Ça fait peur. »

Sur le web, les jeunes savent exactement comment se procurer des armes, ajoute-t-il. « C’est devenu banal dans leurs discussions. Il y a une glorification, une curiosité, un certain pouvoir » lié à la possession d’armes.

Mohamed Mimoun est intervenant jeunesse dans Saint-Michel depuis 10 ans. Les fusillades, estime-t-il, ont commencé il y a environ trois ans. Leur banalisation, surtout. « La nouveauté, c’est quelqu’un qui passe en voiture et qui tire sur un groupe de jeunes sans raison apparente. »

Un peu comme s’il jouait à un jeu vidéo ? « C’est ça, répond M. Mimoun. Game over, on refait le jeu… »

Le tireur ne semble pas réaliser que ses cibles, dans le vrai monde, n’ont qu’une seule vie.

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De plus en plus de gens se font livrer des armes en pièces détachées. Ils les assemblent à la maison, comme un meuble IKEA. C’est simple comme bonjour. Tellement simple que ces « armes fantômes », impossibles à retracer, prolifèrent aux États-Unis. Depuis quelques années, leur nombre a explosé.

Et ça déborde de ce côté-ci de la frontière…

Déjà, on sait que 80 % des armes en circulation au pays proviennent des États-Unis. Québec a d’ailleurs demandé une fois de plus à Ottawa, mercredi, de resserrer les contrôles à la frontière canado-américaine.

Il faut maintenant ajouter les armes fantômes à ce trafic. Des armes sans numéro de série, qu’on peut se faire livrer aussi facilement que des robots-mélangeurs sur Amazon.

Il n’est pas normal, pour un jeune de Saint-Michel, de pouvoir se procurer une arme en quelques clics de souris.

Comme il n’est pas normal d’avoir peur de se faire abattre à deux pas de chez soi, sur le trottoir.

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Soyons clairs : Montréal n’est pas à feu et à sang.

Année après année, les statistiques montrent que la métropole québécoise est plus sûre que Winnipeg, Edmonton, Vancouver et Toronto.

Mais la flambée de fusillades est bien réelle. En 2020, les armes à feu ont été utilisées à 57 reprises lors de tentatives de meurtre à Montréal. L’année précédente, elles avaient été utilisées à 33 reprises, selon le SPVM.

La peur, elle, ne se mesure pas en statistiques.

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Québec a mis sur pied une escouade policière, dotée d’un budget de 90 millions, contre le trafic d’armes à feu. Montréal a promis plus de policiers dans ses rues. Tout cela est bel et bon.

Mais la répression ne réglera pas tout. Il faut agir en amont et empêcher que des armes à feu ne se retrouvent dans les mains des jeunes.

Mieux encore : il faut empêcher que les jeunes ne songent même un instant à se procurer des armes.

Ça veut dire leur donner des options. Des choix de vie.

Donner plus d’amour aux quartiers pauvres, à leurs écoles, à leurs CLSC, à leurs travailleurs de rue, à leurs projets communautaires. Mieux soutenir les parents qui en arrachent. Augmenter le nombre de logements sociaux. La liste est longue…

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Samedi, à midi, Mohamed Mimoun invite les gens à se rassembler au parc François-Perrault, là où Thomas Trudel a passé ses derniers moments. Il y aura une marche, jusqu’au bout de trottoir où l’adolescent a été abattu.

Mohamed Mimoun veut honorer sa mémoire. Surtout, il veut passer un message aux jeunes de ce quartier sous haute tension : s’armer n’est pas la solution. On vous soutient. Vous n’êtes pas seuls. N’ayez pas peur.