OK, c’est un sujet pas sexy du tout dont je vais vous parler aujourd’hui. Deux mots, pour décrire ce qui suit.

Douleur et caca.

(Avez-vous ri en lisant le mot caca ? C’est normal. Même les médecins qui sont dans cette chronique rient un peu, quand le mot est prononcé.)

Voilà, je vais vous parler de maladies inflammatoires de l’intestin chez les enfants. Colite ulcéreuse, maladie de Crohn, etc.

N’ayez crainte, c’est aussi une chronique réjouissante sur une joyeuse équipe de médecins de Sainte-Justine.

* * *

La Dre Véronique Groleau me montre son bureau, tout petit, au 6étage de Sainte-Justine. Elle est gastroentérologue. L’une des 12 médecins du département de gastroentérologie-hépatologie de l’hôpital. Plus de 8000 enfants transitent chaque année par le département, pour des maux d’intestins et de ventre…

On dit ça, comme ça, « gastroentérologie » ; je vous dis ça, comme ça, « maladie de Crohn » et « colite ulcéreuse », on lit ces mots sans coup férir.

Mais derrière ces mots, croyez-moi, il y a des montagnes de souffrance.

Des enfants qui ne peuvent pas digérer ce qu’ils mangent. Qui ne grandissent donc pas comme ils le devraient, ils ne retiennent pas les nutriments nécessaires à la croissance. Qui souffrent. Et qu’on hospitalise ponctuellement.

Une vie, souvent plié en deux, aussi, en attendant de trouver un traitement, le bon. Ça peut être long.

Et il y a la gêne, aussi…

T’as 8, 10, 12 ans, t’es malade, t’as mal au ventre, tu vas à la toilette 10 fois par jour, t’as la diarrhée…

C’est pas le fun d’avoir à expliquer la nature de ton caca à tes amis.

C’est gênant.

* * *

Je reviens à ces mots que je viens d’écrire, plus haut.

Des montagnes de souffrance, en parlant des maladies inflammatoires de l’intestin.

Flash-back, 1983. Peut-être qu’à la radio, il y avait Every Breath You Take de The Police ou J’t’aime comme un fou de Charlebois. J’ai 11 ans. Et ma mère est pliée en deux dans son lit, dans la pénombre de sa chambre. Ma mère avait la maladie de Crohn.

Elle a eu le diagnostic peu après ma naissance. Ce fut le boulet qui l’a entraînée toute sa vie vers les profondeurs de la souffrance chronique. Elle a lutté de toutes ses forces pour ne pas couler.

Opérations, nouveaux médicaments, hospitalisations, flirts avec la mort, encore de nouveaux médicaments…

Quatre-vingt quinze livres toute mouillée : son corps n’absorbait pas tous les nutriments dont elle avait besoin.

Diarrhée, vomissements. Pas envie de manger.

Et malgré ça, même pliée en deux, je n’ai manqué de rien : ni un entraînement de hockey, ni une game de soccer, rien, jamais, et surtout je n’ai jamais manqué d’amour : « Frotte mon dos, Kick, ça va me faire du bien, on va aller à ta partie après… »

Je lui flattais le dos. Elle disait que ça faisait passer ses maux de ventre. Je pense surtout que ça lui donnait du courage.

Je vous parlais de la gêne des enfants, à l’idée d’expliquer leur maladie, de forcément parler de caca…

J’ai encore un souvenir très précis des flatulences (ne riez pas !) de ma mère, qui passait bien sûr des gaz à longueur de journée, pliée en deux.

Ma mère était la femme la plus tough qui ait jamais marché sur cette Terre.

* * *

La Dre Groleau me montre un immense bout de papier au mur, gros comme un poster. Vous savez, ce rouleau de papier blanc, sur la table d’examen du médecin. La Dre Groleau en a déchiré un bout d’un mètre de long. La surface est gribouillée au crayon-feutre : c’est toute la logistique du « Gala des petits bedons » qu’elle organise avec ses collègues médecins de l’unité de gastro-hépato de Sainte-Justine.

Le Gala des petits bedons se tiendra en distanciel, le jeudi 18. Animation par la comédienne Karine Vanasse. Objectif : 150 000 $.

But : constituer une banque de tissus que les médecins chercheurs étudieront pour mieux cibler les traitements prodigués aux enfants qui souffrent de maux d’intestins et de ventre.

C’est con, c’est un peu complexe, mais les organismes subventionnaires qui financent la recherche vont financer les chercheurs… mais pas la création d’une banque de tissus intestinaux pour faire ladite recherche.

D’où le Gala des petits bedons.

Je vous l’avais dit : ce n’est pas un sujet de chronique sexy. Hey, Monsieur le chroniqueur, vous nous faites vraiment une chronique sur une « banque de tissus » ?

Réponse : oui.

Et on ne parle pas des tissus qu’on trouve chez Fabricville, on parle d’échantillons d’intestins. On parle d’entrer dans la prochaine phase de la médecine moderne : les traitements ciblés, adaptés à chaque individu. Pour ça, il faut de la recherche.

On parle de faire en sorte que des enfants de 8, 9 ou 10 ans n’aient plus à subir deux, trois ou quatre traitements – sur des mois et des années – avant de trouver le bon. Un jour, on pourra jumeler des marqueurs génétiques au bon traitement, tout de suite. Et les montagnes de souffrance seront plus petites.

La Dre Groleau porte ce projet de banque de tissus à bout de bras avec sa collègue, la Dre Kelly Grzywacz. Pour ça, il faut organiser ce Gala des petits bedons. Donc, en plus de traiter leurs petits patients, les deux médecins organisent ces jours-ci la logistique du gala : booker un traiteur, un humoriste, filmer des capsules vidéo, peaufiner les textes avec Karine Vanasse, contacter des journalistes…

Tous les médecins de l’unité participent à la logistique. Ils y croient tous, à ce projet.

La Dre Groleau m’a reçu à Sainte-Justine, mardi. J’ai rencontré sa collègue la Dre Grzywacz, ainsi que leurs collègues Faure, Alvarez et Deslandres, qui m’ont expliqué ce qu’ils comptent faire avec cette banque de tissus, qui m’ont expliqué plein de choses sur le microbiome et le microbiote, sur ces maladies de l’intestin qui ont tué ma mère et marqué mon enfance…

J’y reviendrai un jour.

C’est fascinant, le microbiome.

* * *

Voilà. Ce n’est pas une cause sexy, les enfants pliés en deux pour cause de maladie inflammatoire de l’intestin. Mais la souffrance, c’est la souffrance.

Le Gala des petits bedons est dans une semaine. C’est en distanciel. Pour amasser des fonds, on vend des billets et on fait un encan. Ils vendent des boîtes-repas, aussi. Et vous regardez Karine Vanasse animer cette soirée, pour une belle cause.

Fin de mon pitch de vente.

Perso, j’ai acheté deux billets. Un pour moi, bien sûr.

Et un pour toi, M’man.

Visitez le site du Gala des petits bedons