Où ça, une entente entre libéraux et néo-démocrates ? Les deux partis n’ont pas envie de parler des discussions en cours, et on les comprend.

Mercredi, le chef néo-démocrate a voulu tuer la nouvelle. De toute façon, les pourparlers ne risquaient pas de servir à grand-chose. S’ils ont déjà eu lieu, bien sûr…

Dans les deux camps, la réponse officielle varie. C’est soit « non, il n’y aura pas d’entente », ou « pas de commentaires » …

Pourquoi ? Parce que personne n’en ressent l’intérêt.

Justin Trudeau commence son troisième mandat à la tête d’un gouvernement minoritaire aux allures de majorité. Aucun parti de l’opposition n’osera le renverser. Après avoir dénoncé l’inutilité de la dernière campagne électorale, il serait incohérent d’en provoquer une autre. Les Canadiens ne le leur pardonneraient pas.

Les amateurs de faux suspense peuvent encercler une date sur leur calendrier : le 22 novembre. Le Parlement recommencera alors à siéger. M. Trudeau prononcera son discours du Trône au début de cette semaine-là.

Dans l’ensemble, ses priorités sont connues. Il parlera de la pandémie, de la crise climatique, de logement et de réconciliation. Et ses premiers projets de loi ne déplairont pas aux néo-démocrates. À prévoir au menu : l’interdiction des thérapies de conversion pour les personnes LGBTQ+, la modification du Code criminel pour interdire les manifestations abusives contre les travailleurs de la santé, l’imposition de la vaccination obligatoire pour les voyageurs et les fonctionnaires fédéraux, les nouveaux programmes d’aide économique plus ciblés pour la COVID-19 et enfin l’ajout de 10 congés de maladie aux employés sous compétence fédérale – une idée néo-démocrate reprise par les libéraux.

Quant aux premières décisions gouvernementales, le chef néo-démocrate, Jagmeet Singh, ne risque pas trop de déchirer sa chemise. M. Trudeau cherchera à s’entendre avec les trois provinces qui ne se sont pas encore ralliées au programme national de garderies (l’Alberta, l’Ontario, le Nouveau-Brunswick) et à financer le passeport vaccinal des provinces.

M. Trudeau croit donc pouvoir gagner la confiance de M. Singh ou du chef bloquiste Yves-François Blanchet, même sans entente formelle.

Non seulement une telle entente sera peu utile, mais elle serait aussi fragile. M. Trudeau sait que si un scandale comme celui de WE Charity (Unis en français) se reproduisait, l’opposition reviendrait sur sa parole.

Et pour M. Singh, un tel pacte serait risqué. Chaque gain sera récupéré par les libéraux. Ces victoires pourraient ironiquement se traduire en baisse dans leurs intentions de vote.

La politique est ingrate, surtout pour un parti de l’opposition qui veut être constructif.

En 2004, néo-démocrates, conservateurs et bloquistes étaient prêts à conclure une alliance si le gouvernement libéral minoritaire était renversé. Ils avaient fait part de leurs intentions par écrit à la gouverneure générale. S’ils avaient réussi à adopter une plateforme commune, Stephen Harper et Jack Layton se seraient donc partagé le pouvoir, avec l’appui de Gilles Duceppe.

Cela n’avait finalement pas fonctionné, et les chances que cela arrive aujourd’hui sont entre extrêmement minces et inexistantes. À cause de leurs désaccords idéologiques. Mais aussi à cause de la faiblesse du chef conservateur, Erin O’Toole.

On a reproché avec raison à Justin Trudeau de prendre tout son temps avant de rappeler le Parlement. Mais M. O’Toole a été encore plus discret.

PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

Erin O’Toole

Habituellement, l’opposition cherche de la visibilité. Le chef conservateur, lui, a offert encore moins de conférences de presse que M. Trudeau. Parce qu’il savait que chaque jour, on lui parlerait de ses députés antivaccins. Une faction minoritaire mais bruyante de 15 à 30 conservateurs a créé un mini-caucus pour critiquer des mesures sanitaires. Certains, comme Marilyn Gladu, banalisent l’utilité des vaccins. Le chef l’a rabrouée, mais si M. O’Toole contrôlait son caucus, elle n’aurait jamais osé faire une telle sortie.

Son cabinet fantôme a été annoncé mardi. Gérard Deltell conserve le poste névralgique de leader parlementaire, et Alain Rayes redevient lieutenant politique au Québec. Cette aile québécoise doit être exaspérée de voir ses efforts constamment sabotés par la vieille aile réformiste de l’Ouest.

Au Bloc québécois, les choses vont mieux. Son chef Yves-François Blanchet ne change pas ses priorités. Il réclame que la pension de la Sécurité de la vieillesse soit bonifiée aussi pour les 65 à 74 ans. Il réclame un sommet pancanadien sur le financement des soins de santé, au lieu de l’habituelle réunion à huis clos entre premiers ministres.

Mardi après-midi, il a aussi rencontré la ministre des Finances, Chrystia Freeland, pour que les programmes d’aide de la COVID-19 soient resserrés en culture et en tourisme – ce qui est maintenant acquis – et profitent aussi à certains secteurs particulièrement éprouvés, comme ceux incapables de trouver de la main-d’œuvre ou des équipements en pénurie tels les précieux microprocesseurs.

Et comme M. Singh, M. Blanchet talonnera les libéraux pour renforcer la lutte contre le réchauffement climatique. En ce sens, ils seront des alliés de Steven Guilbeault.

La suite sera plus compliquée. Le retour du projet de loi sur les langues officielles ne devrait pas provoquer trop de frictions. Mais il faudra suivre le retour de la réforme de la radiodiffusion ainsi que l’attendu renforcement du contrôle des armes à feu.

Le Bloc, comme d’habitude, négociera à la pièce. Il serait le plan B de M. Trudeau s’il échoue à obtenir l’appui des néo-démocrates.

Voilà à quoi ressemble le tableau de bord du chef libéral. Deux alliés potentiels et un ennemi éternel avec un genou au sol.

C’est une situation minoritaire très confortable…

Un pacte avec le NPD ? Pour les libéraux, rien ne presse.