Can you redo that in English ?

Le patron d’Air Canada Michael Rousseau est encore pire qu’on le croyait.

Il a passé 14 années à Montréal. Il dirige un transporteur assujetti à la Loi sur les langues officielles. Mais devant les médias, il n’a pas été capable de dire une petite phrase du genre « Désolé, je ne parle pas français ». Ni même le classique : Sorry, I don’t speak French.

Le français, il s’en contrefout.

Au moins, M. Rousseau est à la bonne place. Il respecte la politique habituelle d’Air Canada : l’indifférence au français, et le mépris pour ceux qui veulent le protéger.

En entrevue avec mon collègue Jean-Philippe Décarie, il raconte que sa mère et sa femme sont francophones. Il dit manquer de temps pour apprendre leur langue.

Je ne veux pas me mêler de sa vie privée. Mais à tout le moins, il fait preuve de ténacité… Il en faut pour s’immuniser à ce point contre le français, pour ne jamais se laisser contaminer par la télé ou la radio locale, pour ne pas s’adresser à ses employés dans leur langue, pour se boucher les oreilles quand des gens parlent ce dialecte suspect.

Je connais des voyageurs qui mémorisent une phrase de politesse quand ils séjournent à l’étranger. Par exemple : Mi dispiace non parlo italiano ou Entschuldigung, ich spreche kein Deutsch.

M. Rousseau n’a pas dû avoir le temps d’apprivoiser la fonction Google Translate. Peut-être était-il trop occupé à compter ses millions en bonis, indécemment empochés alors qu’il quémandait des fonds publics tout en refusant de rembourser ses clients et en mettant à pied ses employés (le gouvernement Trudeau a fini par exiger le remboursement des vols et des primes).

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Michael Rousseau était invité par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM). Depuis quelques jours, il était su que son discours serait en anglais. Le président de la CCMM a avoué son malaise.

À la défense du patron d’Air Canada, il perpétue une riche tradition.

En 1976, le commissaire aux langues officielles écrivait ceci : « Après sept années et quelque 371 plaintes et 232 recommandations, on ne sait plus très bien ce qu’il faut proposer comme améliorations. »

Depuis, rien n’a changé. À la suite de la privatisation, chaque commissaire a entamé des recours judiciaires contre le transporteur.

Les plaintes affluent encore. Comment croire que le patron, qui n’essaie même pas de faire semblant de parler français, s’y intéressera ?

Air Canada a déjà contesté les pouvoirs du commissaire. Elle critique aussi les clients qui veulent faire respecter leurs droits. Des plaignants sont accusés à mots couverts d’intolérance parce qu’ils demandent d’être servis dans leur langue.

Air Canada manque aussi de franchise. L’année dernière, la société disait au Journal de Montréal que son patron « parle un français fonctionnel qu’il s’emploie à améliorer continuellement ». C’était faux. M. Rousseau n’a même pas été capable de lire une petite déclaration en français pour les médias. Et ce, même s’il voyait venir la controverse depuis plusieurs jours.

Il s’est contenté de lire quelques mots préparés à l’avance pour le gratin des affaires.

Air Canada est habituée à ces tempêtes linguistiques. Ces pittoresques francophones se plaignent, puis quelques heures passent et tout est oublié, c’est business as usual. Et les sanctions ? Rien pour faire peur. Elles sont rares et peu salées.

Tant que les actionnaires font de l’argent, tout roule. Comment se plaindre les poches pleines ?

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Le pire élément de la réponse de M. Rousseau est son compliment aux Montréalais.

Selon lui, c’est tout à l’honneur de la métropole de lui avoir permis d’y vivre plus d’une décennie sans en parler la langue officielle (« It’s a testament to the city of Montreal »).

Il se réjouit qu’on puisse vivre uniquement en anglais dans la métropole. Et il laisse entendre que la véritable ouverture, c’est de s’effacer. Ce n’est même plus du bilinguisme, où les Montréalais passent d’une langue à l’autre. C’est un écrasement.

Des Montréalais anglophones proposent un projet de ville bilingue. J’espère qu’ils rappelleront que cela n’a rien à voir avec un métissage linguistique. M. Rousseau marque plus un retour vers un triste passé où deux langues vivaient en parallèle, dans des univers séparés, et que l’une comptait plus que l’autre.

La mythique caissière unilingue anglophone du Eaton n’existe plus, mais son boss, lui, se porte bien.

À Air Canada, la politique reste la même. Le français ? Yes sir, no problem !