Je n’avais encore jamais rencontré Michael Rousseau, nouveau PDG d’Air Canada, avant de l’entendre livrer un discours entièrement en anglais à la tribune de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, mercredi midi. Un évènement qui a fait exploser les réseaux sociaux en raison du manque évident de sensibilité du PDG, qui en a rajouté lors d’un point de presse en affirmant qu’il vivait très bien depuis 14 ans à Montréal sans parler français.

Michael Rousseau, ex-président de la très torontoise Compagnie de la Baie d’Hudson, s’est joint à Air Canada en 2007 à titre de chef de la direction financière, poste qu’il a occupé jusqu’en avril 2021 lorsqu’il a succédé à Calin Rovinescu à titre de PDG du transporteur aérien.

Lors de sa nomination, j’ai sollicité une entrevue avec le nouveau PDG, mais on a décliné ma demande en m’expliquant que M. Rousseau voulait d’abord se faire les dents dans ses nouvelles fonctions.

Il y a un mois, on m’a offert de rencontrer Michael Rousseau, en marge d’une allocution qu’il allait prononcer à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. C’était mercredi midi.

Dans la foulée d’une mêlée de presse animée qui a duré quelques minutes avec une dizaine de journalistes, j’ai suivi Michael Rousseau dans une salle attenante du Palais des congrès pour réaliser l’entrevue, sollicitée six mois plus tôt.

Comment gérez-vous toute cette pression entourant votre incapacité à vous exprimer en français ? Même le premier ministre François Legault juge inacceptable qu’un PDG dont le siège social est établi à Montréal ne parle pas le français.

Jusqu’à aujourd’hui, ce n’était pas un enjeu. Il y a des gens qui veulent en faire un enjeu, c’est leur affaire. Je ne suis pas un anti-francophone. Ma femme est francophone, ma mère est francophone, je vis à Saint-Lambert dans un environnement majoritairement francophone. Je n’ai tout simplement pas eu le temps de l’apprendre.

Michael Rousseau, PDG d’Air Canada

« Du côté de ma mère, tous mes ancêtres sont francophones, mais malheureusement, du côté de mon père, le français a été perdu depuis trois générations. C’est sûr que j’aimerais le parler.

« Je préférerais que les gens braquent leur attention sur Air Canada plutôt que sur moi. On a une équipe de gestion séniore où tous les gens sont bilingues, sauf moi. Air Canada a un engagement profond à l’endroit du français », s’est défendu le PDG.

Pourtant, Air Canada traîne année après année, et ce, depuis des décennies, un lourd bilan de plaintes du Commissaire aux langues officielles pour le non-respect du français dans ses activités quotidiennes. Comment l’expliquez-vous ?

« Quand on les relativise sur la base du nombre de passagers que nous transportons chaque année, le nombre de plaintes est très faible. On dépense des dizaines de millions par année pour former nos agents de bord et nos équipages dans les deux langues.

« On est devenus un transporteur aérien d’une envergure telle qu’on ne peut pas embaucher autant d’agents francophones que l’on souhaiterait. On investit continuellement pour répondre aux besoins de notre clientèle », rétorque Michael Rousseau.

Les carences linguistiques du PDG d’Air Canada sont effectivement déplorables quand on sait que les assises du transporteur aérien sont solidement établies à Montréal, et elles sont d’autant plus surprenantes que le PDG a baigné toute sa vie dans un environnement qui aurait dû lui permettre d’acquérir des habiletés, dès son enfance avec sa mère et après son mariage avec une Québécoise de « souche ».

Cela dit, beaucoup d’observateurs ont la mémoire courte. Durant des années et encore récemment, Air Canada a été dirigée par des anglophones unilingues, notamment Robert Milton de 1999 à 2004, PDG américain d’Air Canada et par la suite du holding ACE, propriétaire du transporteur aérien de 2004 à 2008, et Marty Brewer, un autre Américain qui a occupé le poste de PDG d’Air Canada de 2004 à 2009.

C’est le passage de Calin Rovinescu à la haute direction d’Air Canada, de 2009 à 2021, qui nous a fait croire que cette entreprise montréalaise avait retrouvé son socle francophone de l’époque de Pierre Jeanniot, qui l’a dirigée de 1984 à 1990. Roumain d’origine et parfaitement bilingue, Calin Rovinescu a d’ailleurs été durant 12 ans le patron et mentor de Michael Rousseau.

À l’instar d’autres multinationales québécoises qui ont elles aussi nommé des unilingues anglophones comme PDG, que ce soit Brian Hannasch chez Couche-Tard, George Schindler chez CGI ou Ian Edward chez SNC-Lavalin, Air Canada a jugé que l’usage du français n’était plus un critère identitaire fondamental pour assurer la croissance de ses affaires.

À la différence de CGI et de Couche-Tard, où les actionnaires de contrôle Serge Godin et Alain Bouchard occupent toujours des postes de président exécutif du conseil, Air Canada n’a effectivement qu’un domicile montréalais pour incarner son identité beaucoup plus canadienne… que québécoise, faut-il rappeler.