Ce vieux routier de la politique que fut Jean Lapierre avait coutume de dire que les citoyens commencent à s’intéresser aux élections municipales dans les deux dernières semaines de la campagne.

Ça y est ! Nous sommes dans le sprint final de cette très longue course qui a commencé en mars dernier lorsque Denis Coderre a annoncé à Tout le monde en parle qu’il sautait dans l’arène. Sept mois de campagne, c’est épuisant pour des candidats qui ont dû assurer leur visibilité dans un contexte de pandémie.

Maintenant qu’ils ont fait la majorité de leurs annonces et participé aux innombrables débats auxquels ils étaient conviés, il leur reste à faire la tournée des grands médias dans le cadre des fameuses « rencontres éditoriales ».

Mais Valérie Plante et Denis Coderre devront surtout tenter de basculer les sondages qui les mettent au coude-à-coude depuis quelques semaines. Avec une importante part d’indécis (autour de 27 % selon certains sondeurs), il y a un sérieux travail à faire de ce côté.

Valérie Plante a mené une bonne campagne. Elle doit conserver ses acquis en ne commettant aucun faux pas. Son bilan, loin de faire l’unanimité, est toutefois empreint de droiture sur le plan de la gestion. C’est ce qu’elle doit mettre de l’avant.

Principale anicroche de sa campagne : l'affaire Will Prosper, qui a dû expliquer les circonstances de sa fin de carrière abrupte à la GRC.

Valérie Plante va continuer de miser sur les idées et les valeurs qui l’on fait élire en 2017 : l’environnement, la justice sociale, le logement, le bien-être des familles et la vie de quartier, même si elle n’a pas atteint tous les objectifs promis.

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Valérie Plante, cheffe de Projet Montréal, lors d’un rassemblement du parti au Bain Mathieu, le 22 octobre dernier

Elle doit convaincre les électeurs qu’elle est, et sera, la mairesse de tous les Montréalais. Mais plus encore, elle doit rassurer ceux qui craignent qu’une fois élue, elle fasse preuve de dogmatisme et applique ses idées en ne tenant pas compte des réalités de l’ensemble des citoyens, peu importe leur tranche d’âge.

À ce sujet, il est intéressant de noter, lorsqu’on regarde de près les intentions de vote pour les deux principaux candidats, qu’ils se partagent presque à égalité tous les groupes d’âge.

Une croyance populaire tend à démontrer que Valérie Plante séduit davantage les jeunes et Denis Coderre, les plus vieux. Or, ce n’est pas vraiment le cas.

Il est vrai que chez les 18-34 ans, Valérie Plante a une légère avance. Mais quand on regarde les 35-54 ans et les 55 ans et plus, ces deux candidats, aux personnalités fort différentes, se partagent équitablement ces groupes.

Même chose en ce qui a trait au sexe des électeurs. On est porté à croire que Valérie Plante a plus de facilité à séduire l’électorat féminin. Or, les deux candidats ont autant d’hommes que de femmes parmi leurs supporteurs.

De son côté, Denis Coderre a connu une campagne plus difficile que celle de sa rivale. Outre l’épisode du cellulaire au volant, il y a eu quelques volte-face de sa part (l’alcool dans les parcs après 20 h, la hauteur des gratte-ciel). Ce n’est pas très bon pour celui dont l’assurance est une marque de commerce.

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Denis Coderre, chef d’Ensemble Montréal, lors d’une annonce portant sur l’avenir des artères commerciales, le 19 octobre dernier

Et puis, il y a eu ces nombreuses tuiles que lui a fournies son entourage : Ali Nestor, que Denis Coderre a souhaité avoir comme conseiller spécial, fait face à des accusations de voies de fait et d’agression sexuelle, Antoine Richard, candidat à la mairie de Verdun, est un adepte de flips immobiliers, Dimitra Kostarides, candidate dans Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, fait l’objet d’une enquête disciplinaire de la Chambre de la sécurité financière, Joe Ortana, candidat dans le même arrondissement et président de la commission scolaire English-Montréal, a été exclu de la course après sa prise de position sur la réforme sur la langue française.

Finalement, Dan Kraft, candidat dans Outremont, a dû présenter ses excuses après avoir exprimé des idées proches des climatosceptiques ou qui remettaient en question la discrimination envers les Noirs. On a appris mardi que le candidat se retirait de la course.

Denis Coderre se serait sans doute bien passé de cela.

Contrairement à Valérie Plante, qui semble prendre un énorme plaisir à mener sa campagne, Denis Coderre a souvent paru bougon. Cela a permis à ses détracteurs de dire que la transformation annoncée n’était pas réelle. Cette idée d’annoncer un « homme nouveau » fut une erreur stratégique. En politique, tu laisses le soin aux citoyens de constater le changement.

Lors du dernier débat de lundi soir, à Radio-Canada, Denis Coderre a affiché un ton nettement plus agréable. Il a été posé, souriant et en contrôle de ses moyens. C’est cela qu’il doit refléter jusqu’au 7 novembre prochain tout en martelant les grands axes de sa campagne : la sécurité, la vitalité économique de la métropole et une meilleure gestion de la vie urbaine (chantiers, propreté, etc.).

Au cours des prochains jours, il ne faudra pas être surpris de voir les deux candidats mener leur campagne en fonction de la géographie de la ville. Valérie Plante demeure plus populaire au centre alors que Denis Coderre obtient un score plus fort dans l’est et dans l’ouest.

Ils vont aussi travailler davantage dans les arrondissements plus populeux susceptibles de leur offrir plus de votes (Côte-des-Neiges–Notre-Dame-de-Grâce, Rosemont–La Petite-Patrie, Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, Ahuntsic-Cartierville, Plateau-Mont-Royal, Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles).

Cette campagne est une campagne de partis politiques, ne l’oublions pas. Les arrondissements, outre quelques exceptions où l’on observe une certaine variété de candidats, ont tendance à voter unilatéralement pour un même parti.

Bref, on devrait voir une plus grande présence des deux candidats dans leurs bastions et au sein de groupes homogènes, surtout lorsque cela procure de belles images (on a vu récemment Valérie Plante esquisser quelques pas de danse avec des personnes âgées d’une résidence de Rivière-des-Prairies–Pointe-aux-Trembles).

Au cours de cette campagne, on a eu droit à une avalanche de promesses qui, dans bien des cas, se ressemblent. L’ensemble de ces engagements n’a pas été vraiment chiffré. Dans un contexte de pandémie où le budget risque fort d’être ébranlé, il est difficile pour les citoyens que nous sommes d’y voir clair.

Mais il faudra quand même faire un choix et tenter de faire grimper le famélique taux de participation des dernières années. Dans ce sens, nous aussi, nous entrons dans un sprint final.

Démêler le vrai du faux, le réalisable de l’irréalisable, l’authenticité du mensonge, c’est le boulot qui nous attend au cours des prochains jours.

J’ai déjà lu quelque part qu’il y a trois contextes où l’être humain ment : pendant la guerre, après la chasse et avant les élections.

Souhaitons que Valérie Plante et Denis Coderre fassent taire cet adage.