« Parlez-nous d’amour. Parlez-nous de respect. Et surtout si vous ne comprenez pas, parlez-nous donc… »

C’est sur ces mots que Gabrielle Boulianne-Tremblay concluait son poignant Manifeste de la femme trans.

C’était il y a trois ans jour pour jour, sur la scène de l’Impérial à Québec. Dans le cadre du Cabaret désobéissant, l’écrivaine et comédienne avait livré avec émotion un texte bouleversant inspiré des expériences de transphobie qu’elle a subies durant sa transition.

Quand le médecin vous appelle par votre ancien nom dans les haut-parleurs du CLSC.

Quand des commentateurs qui ne connaissent rien de rien à votre réalité publient des torchons « pour s’essuyer sur la souffrance des autres ».

Quand les pensées suicidaires deviennent envahissantes…

« En apparence, on pourrait peut-être penser que ces éléments ne sont pas violents, me dit-elle. Mais pour les personnes trans, c’est du quotidien. C’est une charge lourde à porter. »

Avec le temps, le fardeau s’allège. Des paroles fortes comme celles de Gabrielle Boulianne-Tremblay et d’autres personnalités publiques, militantes pour les droits des personnes trans, se sont libérées.

Grâce à leur prise de parole, la société progresse. La transphobie régresse. Du moins, on l’espère.

Grâce à leur courage, les mentalités évoluent. Les lois, aussi. Du moins, on l’espère.

Bref, collectivement, on avance. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes à l’abri des maladresses et des reculs déguisés en avancées.

C’est ce qu’a constaté avec stupeur Gabrielle Boulianne-Tremblay en prenant connaissance, il y a quelques jours, par l’entremise d’une amie juriste, de l’article 23 du projet de loi 2 du ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette. Un projet de réforme du droit de la famille qui se veut progressiste, mais qui a été dénoncé comme un retour en arrière pour les personnes trans.

Lisez notre article

Et pour cause. L’article 23 indique noir sur blanc que le gouvernement veut à nouveau faire dépendre le changement de sexe à l’état civil d’une intervention chirurgicale génitale – une exigence qui avait été abolie au Québec en 2015.

On estime que seulement le tiers des personnes trans entreprennent ce genre d’opération. Pour les autres, si le projet de loi est adopté tel quel, les conséquences seront désastreuses, craint-on. À défaut d’une opération, ce sera l’humiliation d’un coming out forcé.

Dans une lettre ouverte adressée au gouvernement Legault, cosignée par des artistes et militants trans et non binaires, Gabrielle Boulianne-Tremblay demande que cet article discriminatoire soit retiré du projet de loi.

« Nous demandons que notre communauté soit consultée pour toute future législation ayant un impact direct sur nos vies. Nous demandons que nos droits fondamentaux soient respectés. Nous trouvons horrifiant que notre dignité soit atteinte par l’insouciance de politicien.ne.s mal informé.e.s. »

Lisez la lettre ouverte publiée dans Elle Québec

C’est d’autant plus grave que ces quelques lignes glissées sans plus de réflexion dans un projet de loi ne sont pas sans conséquence. Comme le rapporte mon collègue Hugo Pilon-Larose, depuis quelques jours, cela a donné lieu à une augmentation des appels de détresse de jeunes craignant l’impact que cela aura dans leur vie.

Lisez « Québec provoque une vague d’appels à l’aide »

Ce qui est encourageant, c’est que l’opinion publique, une fois de plus, semble avoir un pas d’avance sur le gouvernement. Gabrielle Boulianne-Tremblay a été touchée par l’appui immédiat que la lettre ouverte a obtenu, bien au-delà des cercles militants. « Je trouve ça beau et inspirant. Ça me donne des frissons de voir ça. »

Ce qui est plus décevant, c’est la réaction politique beaucoup moins empathique. Dans une déclaration écrite envoyée pour répondre à mes questions, le cabinet du ministre Jolin-Barrette se dit « très sensible » aux réalités des communautés LGBTQ. Mais pas assez, semble-t-il, pour prendre réellement au sérieux leurs inquiétudes à l’égard du projet de loi 2. Car si on en croit le gouvernement, ces inquiétudes ne sont pas fondées.

Le projet de loi 2, vu comme transphobe par les principaux concernés, serait au contraire une grande avancée pour les personnes trans. C’est juste qu’elles ne l’ont pas remarqué…

« L’identité de genre pourra désormais figurer sur les documents de l’état civil et être modifiée afin de refléter l’identité d’une personne trans. Il importe de le mentionner ; une personne trans pourra donc continuer d’avoir des documents qui reflètent son identité sans subir [d’opération chirurgicale]. Une intervention chirurgicale n’est absolument pas nécessaire pour que les documents de l’état civil soient modifiés en fonction de l’identité de genre de la personne concernée », explique-t-on.

Le cabinet du ministre de la Justice dit vouloir ainsi distinguer dans la loi le sexe et l’identité de genre afin de répondre à un récent jugement de la Cour supérieure, qui invalidait des articles jugés discriminatoires à l’égard des personnes trans et non binaires. Si l’intention est bonne, de façon pratico-pratique, cela ouvre la porte à d’autres discriminations et à un coming out forcé. Car dans les faits, seules les personnes trans ou non binaires feront les démarches pour inscrire leur identité de genre sur leurs documents de l’état civil.

Le cabinet du ministre de la Justice estime que sa proposition vient répondre aux demandes de groupes comme le Centre de lutte contre l’oppression des genres. Or, ce même groupe dit qu’il n’en est rien. « Une distinction sexe-genre n’a jamais été mentionnée pendant nos consultations, et le gouvernement a complètement jeté ce qu’on a dit lors de nos consultations », me dit Celeste Trianon, qui milite pour les droits trans. Pour son Centre, le projet de loi 2 est « le plus transphobe de l’histoire du Québec et même du Canada ».

Bref, en voyant tout ça, j’aurais envie de paraphraser Gabrielle Boulianne-Tremblay : « Si vous ne comprenez pas, parlez-leur donc… »

Ça éviterait de confondre des avancées avec des reculs. Et ça éviterait bien de la détresse à des jeunes qui en vivent déjà assez comme ça.