Comme d’habitude, la hausse des tarifs d’hydroélectricité fait grogner les Québécois.

Et pourtant, un autre phénomène coûteux suscite toujours l’indifférence : le gaspillage d’énergie.

Le prix de l’électricité n’est pas le seul facteur qui influence la facture. La quantité le fait aussi. Mais on consomme trop, et on consomme mal.

Dans les derniers jours, deux rapports l’ont confirmé.

Le premier, d’Hydro-Québec, porte sur l’efficacité énergétique.

Consultez le rapport d’Hydro-Québec

Le second vient de la firme Dunsky. Commandé par le ministère de l’Environnement du Québec, il explique comment atteindre nos cibles de réduction de gaz à effet de serre.

Lisez le rapport de la firme Dunsky

La décarbonation de l’économie haussera la demande pour de l’énergie renouvelable. D’ici 2050, le Québec aura besoin d’environ 137 TWh, estime Dunsky. C’est l’équivalent de 17 barrages La Romaine. Ou de 11 fois la production éolienne actuelle !

Mais on fait le contraire. On agit comme si on avait trop d’énergie. C’est ce que démontre l’autre rapport d’Hydro-Québec. En augmentant l’efficacité énergétique, des économies de près de 14 TWh pourraient être faites.

La société d’État n’aurait pas tort de dire que ces calculs restent théoriques. Pour la production, on ne connaît pas le rythme exact des innovations technologiques à venir, par exemple pour l’hydrogène vert. Et pour la consommation, il serait très difficile d’atteindre tous les gains en efficacité dans les commerces, industries et résidences.

N’empêche que ce potentiel d’efficacité énergétique n’équivaudrait pas à une utopique consommation sans perte. Le chiffre porte sur les réductions techniquement réalisables et économiquement rentables.

Au-delà de ces nuances, le constat est simple et il est gênant : on va manquer d’énergie, et on gaspille celle qu’on a. Or, la moins coûteuse à produire reste celle qu’on récupère.

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En transport, le gaspillage est pire.

Je sympathise sincèrement avec les ménages aux revenus modestes qui en arrachent à cause du litre d’essence à 1,50 $. Mais pour de nombreux autres automobilistes, si le prix à la pompe est un problème, ils le cachent…

Le nombre de véhicules utilitaires sport a explosé dans la dernière décennie. Les Québécois optent en moyenne pour des modèles plus gros et plus gloutons. Et le gouvernement les encourage. Québec craint l’écofiscalité, comme le démontre une toute nouvelle étude de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke. Le Québec s’y classe 35e parmi les 38 États évalués.

Les automobilistes reçoivent plus de services qu’ils n’en financent, comme l’a déjà démontré Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal.

Lisez l’étude de la Chaire en fiscalité de l’Université de Sherbrooke

Miser sur la vertu ne fonctionnera pas. Les gens se débrouillent comme ils peuvent. C’est à l’État de changer les choix qui s’offrent à eux. En décourageant le gaspillage et la pollution, en offrant des solutions vertes accessibles et en aménageant le territoire de façon durable.

Pour cela, le plan du gouvernement caquiste reste incomplet.

François Legault mise énormément sur l’électrification des transports. Ce n’est malheureusement pas la solution miracle. Même avec une hausse imprévue du nombre de véhicules électriques, le Québec n’atteindra pas son but de baisser la consommation de pétrole de 40 % d’ici 2030.

Et même s’il réussissait, cela devancerait un autre écueil : la chute des revenus de la taxe de l’essence, qui réduira les sommes pour financer les routes et les transports collectifs.

Je résume : les gens sont incités à acheter des véhicules énergivores qui prennent trop de place sur les routes, ce qui hausse la pollution, la congestion et le déficit commercial à cause de l’importation de pétrole.

Et même si tous les véhicules devenaient électriques demain matin, des gaspillages demeureraient. Les automobilistes seraient encore incités à se déplacer seuls en transportant des sièges vides, et à habiter de plus en plus loin en banlieue, ce qui gonfle les dépenses en infrastructures par habitant.

Le meilleur exemple reste le troisième lien Québec–Lévis, le seul projet d’infrastructure pour lequel le gouvernement caquiste refuse de plafonner le budget. Et on pourrait aussi parler du laxisme des règles dans les municipalités périphériques à la Communauté urbaine de Montréal.

Lisez le reportage « Une guerre du bungalow dans les couronnes de Montréal »

Et ce n’est pas tout. Cet étalement accélère la disparition de terres agricoles. Il affaiblit notre autonomie alimentaire.

Et il détruit ce qu’il reste des milieux humides pourtant si précieux pour la biodiversité, la capture du carbone et la lutte contre les inondations. En 2017, le Québec a adopté une loi visant « zéro perte nette ». Près de 75 millions de dollars ont été versés en guise de compensation par des promoteurs. Mais comme le rapportait récemment mon collègue Éric-Pierre Champagne, moins de 1 % de ces sommes ont servi à créer ou à restaurer des milieux humides. La logique n’a pas changé : on détruit ces milieux comme si la sixième extinction de masse du vivant n’avait pas commencé.

Lisez le reportage « Milieux humides : Québec très loin de son objectif »

M. Legault se réclame de la « gauche efficace ». Mais comme tant d’autres chefs de gouvernement, il tolère encore l’inefficacité.

Malgré ses efforts pour électrifier les transports, exporter notre hydroélectricité et développer certains projets de transport collectif, il reste loin d’une vision cohérente pour que le Québec cesse de gaspiller.

Oui, notre territoire est vaste et il faut l’occuper. Mais ce n’est pas un prétexte pour l’aménager comme si les ressources de la planète étaient inépuisables.