Il n’y a pas que des diplomates canadiens qui souffrent de ce qui est apparemment le syndrome de La Havane, ce mal mystérieux aussi détecté chez plus de 200 diplomates et agents du renseignement américains. Des enfants en font aussi les frais. Désemparés et en colère, leurs parents ont raconté leur histoire à notre chroniqueuse.

Bruit. Souris. Tempête. Bruno. Âgée de tout juste 9 ans, Charlotte* souffrait de tant d’acouphènes différents qu’elle leur avait donné des noms pour les distinguer.

Ces problèmes auditifs persistants sont loin d’être le seul problème de santé inexplicable qu’elle a rapporté dans ses bagages de Cuba, où elle a vécu avec ses parents diplomates pendant deux ans.

Elle avait tout juste 7 ans quand, en 2017, les premiers symptômes sont apparus : changements de comportement, saignements de nez, maux oculaires. Elle a attendu deux ans avant de parler des acouphènes qui la tenaillaient. Elle s’y était habituée.

Simon* avait 12 ans quand, en juin 2017, un bruit métallique intenable les a réveillés, lui et les trois autres membres de sa famille, alors qu’ils dormaient dans leur résidence de La Havane. Son nez s’est mis à saigner de manière incontrôlable. Dans les mois qui ont suivi, on a diagnostiqué chez lui des lésions au cerveau évoquant une commotion cérébrale. Sans qu’il ait subi d’impact. Depuis, son parcours scolaire est parsemé d’embûches.

Annie*, 9 ans, a vu sa santé se dégrader à partir de l’automne 2017. Difficulté à parler, vision en tunnel, migraines insoutenables. Comme pour Charlotte et Simon, ses symptômes sont apparus à Cuba et l’ont suivie au Canada.

Aujourd’hui, plus de trois ans après avoir été rapatriés de Cuba, leurs parents demandent des comptes à leur employeur, Affaires mondiales Canada.

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En tout, sept enfants canadiens font partie d’une action en dommages et intérêts lancée contre le gouvernement du Canada. Tous ont des problèmes de santé qui s’apparentent au « syndrome de La Havane », un mal mystérieux qui, à partir de 2016, a frappé aussi plus d’une dizaine d’employés du gouvernement canadien ainsi que deux douzaines de diplomates américains en poste à Cuba.

Depuis 2018, les diplomates qui se rendent dans l’île des Caraïbes ne sont plus accompagnés de leur famille.

Depuis leur retour au Canada en 2017 et en 2018, les enfants affectés ont vu plusieurs médecins – souvent à l’initiative de leurs parents –, mais n’ont jamais fait l’objet d’un examen diagnostique aussi complet que les adultes.

Si ces derniers, à la demande du gouvernement, ont subi une longue batterie de tests pour évaluer les dommages au cerveau à l’Université Dalhousie, les enfants attendent toujours leur tour. Depuis quatre ans.

Les parents ont maintes fois soulevé la question auprès de leurs supérieurs et ont écrit une demande formelle en 2019, mais rien n’a bougé depuis.

Désespérés, les parents ont décidé de parler. Pour des raisons d’ordre légal, ils nous ont demandé de modifier leur nom et celui de leurs enfants. « Nous avons vraiment l’impression que nos enfants sont les grands oubliés de tout ce drame », dit Astrid*, mère de Charlotte, elle aussi affectée par des problèmes de santé qui ont bouleversé sa vie. Et que la science peine toujours à expliquer.

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À l’Université Dalhousie, le DAlon Friedman, à la tête de l’unité médicale qui a ausculté les employés du gouvernement affectés par des symptômes d’ordre neurologique, affirme pourtant que son équipe est prête et apte à réaliser les tests sur les enfants. Des questions administratives entre les diverses parties impliquées seraient à l’origine des délais, m’a-t-il écrit dans un courriel.

Et que dit le gouvernement canadien ? Mes questions au bureau du ministre des Affaires étrangères n’ont pas reçu de réponses.

Dans une récente chronique, je faisais déjà état du mutisme du gouvernement et d’Affaires mondiales Canada sur la question du syndrome de La Havane, et ce, même si quatre Canadiens sont tombés malades à Cuba depuis les derniers cas reconnus publiquement par Ottawa en 2018. Étant donné les circonstances, il y aurait tout lieu de fermer notre ambassade à La Havane, mais au lieu de ça, on y recrute de nouveaux employés.

Lisez la chronique « L’ambassade maudite »

On peut peut-être mettre cet immobilisme sur le dos des élections et du changement de cabinet, mais pendant que le Canada se tait, les États-Unis, eux, ont décidé de passer à l’action.

Récemment, des cas de syndrome de La Havane parmi les membres du service extérieur américain ont été signalés en Chine, en Russie, en Autriche, en Allemagne, au Viêtnam et en Inde, pour ne nommer que ceux-là.

En tout, plus de 200 diplomates et agents du renseignement américains sont affectés.

Pas plus tard que la semaine dernière, le président des États-Unis, Joe Biden, a ratifié une loi adoptée par le Congrès à l’unanimité pour débloquer des ressources pour les victimes du mal inexpliqué.

Le Pentagone met les bouchées doubles pour comprendre les causes du syndrome et découvrir les responsables. Un des agents secrets qui ont joué un rôle central dans la traque d’Oussama ben Laden a récemment été affecté au dossier.

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Voilà cinq ans que des scientifiques se penchent sur ce phénomène étrange et essaient de l’expliquer. Certains experts ont conclu que les diplomates sous pression ont succombé à une névrose de conversion, autrement dit une hystérie collective. Les chercheurs de l’Université Dalhousie croient que des toxines présentes dans des insecticides seraient responsables des lésions cérébrales observées. D’autres ont attribué à un grillon très bruyant les problèmes de santé.

Mais ces jours-ci, avec la multiplication des cas rapportés à travers le monde, ce qui inquiète vraiment, c’est surtout la possibilité qu’une nouvelle arme soit la grande coupable. En décembre, l’Académie des sciences des États-Unis a conclu qu’il était probable que des ondes radio pulsées et dirigées soient à l’origine des cas étudiés. « C’étaient des attaques délibérées », a dit la semaine dernière David Relman, le médecin qui a rédigé le rapport de l’Académie lors d’une entrevue avec la chaîne NBC.

Si cette théorie est avérée, les conséquences futures pourraient être dévastatrices, et pas seulement pour les diplomates.

Le moins qu’Ottawa puisse faire, c’est de prendre cette affaire au sérieux. Le gouvernement le doit bien à ceux – petits et grands – qui souffrent et qui craignent les impacts à long terme de ce qu’ils ont subi, mais aussi à l’ensemble des Canadiens qui aspirent à vivre en paix et en santé.

* Nom fictif