En voyant le sort des infirmières, on se dit : si seulement le Québec pouvait revenir en arrière.

Si seulement on pouvait prévenir le cercle vicieux où les conditions de travail se dégradent, ce qui provoque des départs, ce qui surcharge celles qui restent et qui partiront à leur tour…

Les éducatrices en garderie commencent à s’engager dans cette spirale. Il y a urgence d’agir avant qu’il ne soit trop tard.

Bien que différentes, ces professions ont une chose en commun : elles sont traditionnellement féminines. Ce n’est pas une coïncidence. On y a longtemps vu une « vocation » récompensée par le bonheur d’aider les autres. Cela ne paye pas le loyer, par contre…

Et on pourrait parler des préposées aux bénéficiaires et des enseignantes, corps professionnels composés à plus de 75 % de femmes.

Ce modèle ne fonctionne plus. Ces métiers sont en crise et la population en souffre.

Le gouvernement caquiste aura passé une bonne partie de son mandat à gérer ces crises en santé. Cela le rattrape maintenant en petite enfance.

Voilà ce qui explique le signal fort envoyé jeudi par Québec : une hausse salariale pour le réseau subventionné de 10 à 15 % cet automne, avant même la fin des négociations. C’est d’ailleurs un plancher – l’offre finale sera sans doute supérieure.

La manœuvre est irrégulière, et c’est tant mieux.

Aux éducatrices qui songent à quitter la profession, Québec dit : « Tenez bon. Nous comprenons que votre travail est difficile et nous essayons de vous aider. »

Et il y a là aussi un message pour les négociateurs : réveillez-vous !

Leur travail avance à sa vitesse habituelle, celle des glaciers. Trois syndicats négocient avec 14 associations patronales sous la responsabilité du Conseil du trésor, en collaboration avec le ministère de la Famille. Un immense paquebot avec trop de capitaines.

Les syndicats ont présenté leurs demandes en février dernier. Celles des patrons ont suivi au printemps (non salariales) puis en juillet (salariales).

Après trois mois d’attente, les syndicats n’ont pas encore réagi à la proposition salariale.

On devine leur stratégie. S’ils règlent tout de suite la question des salaires, ils perdront leur rapport de forces pour le volet plus difficile des conditions de travail.

Ils ont récemment obtenu des mandats de grève. On espérait un déblocage. Mais les syndicats mobilisent leurs membres sans conséquence concrète à la table.

Pendant ce temps, des éducatrices menacent de quitter la profession. D’où l’annonce imprévue de la hausse salariale.

Cela dit, il y a aussi des raisons politiques…

Mardi prochain, François Legault prononcera son discours inaugural. Puis, dans moins d’un mois, son ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, présentera ses orientations pour l’avenir du réseau. La hausse salariale ne mettra pas fin aux manifestations, bien sûr. Mais les caquistes espèrent que cela en adoucira un peu le ton.

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La CAQ revient de loin.

Après son accession au pouvoir, elle parlait peu des garderies. Toute son attention allait aux maternelles 4 ans. Mais M. Legault commence enfin à s’y intéresser.

Il découvre un réseau malade. Les libéraux ont freiné la création de places, en plus d’imposer des compressions de 120 millions de dollars. Les garderies ont dû affaiblir les conditions de travail des éducatrices, comme la préparation des plans pédagogiques.

Les inscriptions au DEC ont baissé de 40 %, ce qui fait d’autant plus mal que seule une minorité des candidates obtiennent leur diplôme.

Ensuite, la pandémie a mené à la fermeture de plusieurs garderies en milieu familial et au départ de professionnelles. Pour compenser, Québec a facilité l’embauche d’éducatrices « non qualifiées ». Et devinez qui devait les former ? Les éducatrices qui étaient déjà débordées.

La démographie complète le casse-tête. Il y a 37 000 enfants qui ont besoin d’une place. Et d’ici trois ans, il manquera environ 12 000 éducatrices et plus de 1500 autres employés (cuisine, buanderie, tâches administratives).

Les caquistes ont montré leur pragmatisme en ajustant leur discours sur les garderies pour s’attaquer à la crise. Ils ont accompli un premier geste, mais le plus important reste à faire.

La proposition est encore loin de la demande syndicale, une hausse de 23 % en trois ans. Et l’argent ne réglera pas tout. Les conditions de travail sont également cruciales pour attirer et retenir les employées.

Preuve que ce n’est pas un conflit de travail normal, des parents ont appuyé les éducatrices en grève, même si cela perturbait leur journée. Peut-être parce qu’ils se souvenaient que dans les derniers mois, leur garderie avait déjà été fermée quelques heures ou quelques jours à cause du manque d’éducatrices. Et qu’ils craignent que cela ne devienne de plus en plus fréquent si rien ne change.

M. Legault veut sans doute apaiser ces parents. Il pourrait aussi saisir l’occasion pour répondre à ceux qui lui reprochent de diriger un conseil des ministres où la plupart des postes clés sont occupés par des hommes. En répliquant que ce gouvernement a agi en s’attaquant à la sous-valorisation des métiers féminins.

Mais le temps presse. Car plus on s’enfonce dans la spirale de la pénurie de main-d’œuvre, plus il est difficile de s’en sortir.