Deux choses sont inévitables, selon le dicton : les impôts et la mort.

En fait, cela dépend de votre compte en banque. Plus vous êtes riches, plus vous avez les moyens d’échapper à l’impôt, comme l’ont prouvé les Pandora Papers.

Que l’on y consente ou non n’y change rien : notre mort demeure hautement probable. S’il y a quelque chose qu’on accepte sans raison, pour paraphraser le célèbre vers de Claude Péloquin, c’est plutôt de payer pour les « ultrariches ».

Dans la dernière campagne électorale, Jagmeet Singh répétait cette expression environ 17 fois par phrase. Son approche à la Robin des Bois lui valait toujours la même critique : « taxer les riches » ne donnera pas autant d’argent que prévu. C’est vrai, mais cela demeure un argument ridicule. Si cela corrige une injustice et finance un peu plus le filet social, c’est mieux que de ne rien faire.

Selon mes calculs, il reste encore une demi-journée avant que l’indignation populaire liée aux Pandora Papers ne s’évapore dans l’oubli. J’ai profité de cette brève fenêtre pour en parler avec André Lareau (professeur retraité de droit fiscal à l’Université Laval), Brigitte Alepin (professeure de fiscalité à l’Université du Québec en Outaouais et cofondatrice de TaxCOOP) et Percy Downe (sénateur libéral qui talonne M. Trudeau à ce sujet).

Tous s’entendent sur un point : le Canada est le contraire d’un modèle…

Si Justin Trudeau veut envoyer un message, il pourrait commencer par changer sa ministre du Revenu national, Diane Lebouthillier.

Le Bloc québécois le réclame et MLareau est d’accord. Ce prof ressent une « frustration innommable » à cause de la complaisance de la ministre face à KPMG et à l’évasion fiscale à l’île de Man. « Elle ne connaît pas ses pouvoirs et elle ne comprend pas les enjeux », se désespère-t-il.

Mais même si Mme Lebouthillier perd son poste, l’essentiel rester à faire.

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Depuis le choc de la crise financière de 2008, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) essaie de combattre l’évasion et l’évitement fiscaux.

Plusieurs démarches ont été médiatisées, comme celles sur le secret bancaire. Je m’attarde à deux autres qui ressortent du nouveau plan d’action : exiger un impôt minimal pour les multinationales ainsi que pour les géants du web.

Pour l’impôt minimal des entreprises de 15 %, le Canada a approuvé un mécanisme suggéré par l’OCDE qui devrait être appliqué en 2023 pour permettre au Canada d’imposer les profits des filiales étrangères des sociétés canadiennes, même lorsqu’elles sont établies dans les paradis fiscaux.

Le Canada pourrait toutefois avoir de la difficulté à appliquer cette forme d’impôt. Elle entre en conflit direct avec une vingtaine d’ententes bilatérales conclues avec des paradis fiscaux comme les Bermudes.

Le Canada a obtenu que ces pays répondent aux demandes de renseignement du fisc. En échange, il a renoncé à imposer les filiales de ses sociétés qui y exercent leurs activités.

L’autre initiative internationale, la taxe sur les géants du web (plus de 20 milliards de chiffre d’affaires), avance aussi lentement. Là-dessus, la ministre des Finances, Chrystia Freeland, est proactive. Elle promet d’agir unilatéralement dès janvier prochain si l’OCDE n’a pas fini le travail. En campagne, les libéraux ont également proposé de hausser le taux d’imposition des banques.

Depuis le départ de son prédécesseur Bill Morneau, le gouvernement libéral en fait un peu plus. Dans son dernier budget, Mme Freeland s’est engagée à créer un registre des bénéficiaires qui forcerait les entreprises à dévoiler l’identité de leurs administrateurs et de leurs bénéficiaires.

« C’est la plus grande avancée depuis une décennie », salue le sénateur Downe.

N’empêche que ce registre n’entrerait pas en vigueur avant 2025. Pour l’instant, les libéraux ne font que consulter. Et ils ne précisent pas si ce registre sera public et si les contrevenants seront punis.

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Combien d’argent le Canada perd-il à cause de l’évasion et de l’évitement fiscaux ? On l’ignore, et c’est justement le problème.

L’Agence du revenu refuse de faire cette estimation. Elle préfère y aller à la pièce, avec des calculs pour certains secteurs de l’économie.

Brigitte Alepin, fiscaliste renommée, voudrait qu’on dévoile les statistiques fiscales sur l’impôt payé par le groupe de contribuables constitué de la soixantaine de milliardaires canadiens qui détiennent une richesse d’environ 250 milliards de dollars (Forbes). Cette information n’est pas disponible présentement.

Si on exige un impôt minimal pour les entreprises, on devrait aussi le faire pour les individus. D’ailleurs, ce serait plus facile à faire.

Brigitte Alepin, professeure de fiscalité à l’Université du Québec en Outaouais et cofondatrice de TaxCOOP

En campagne électorale, le Nouveau Parti démocratique (NPD) proposait un impôt sur la fortune. La mesure avait été qualifiée de brouillonne. Même si Mme Alepin juge que le moyen n’est pas idéal, elle relativise cette critique. « L’important, c’est de se mettre d’accord sur l’objectif. Ensuite, on parlera des aspects plus techniques. »

Autre problème, selon MLareau : la jurisprudence qui avantage les contribuables qui pratiquent l’évitement fiscal. Le droit canadien offre trop peu de munitions. Le fisc doit démontrer qu’il y a eu « abus ». « On devrait songer à ne plus exiger ce fardeau de la preuve pour le fisc, et ajouter des pénalités spécifiques à ces contribuables et à leurs conseillers fiscaux », soutient-il.

Reste que la chose la plus élémentaire pour le Canada serait d’arrêter de faire rire de lui et de mieux appliquer les lois actuelles.

Des clients de KPMG ont pu rapatrier leurs millions de l’île de Man sans payer de pénalité ni même payer les intérêts complets. Les fraudeurs doivent cesser de s’en tirer à si bon compte. MLareau souhaiterait aussi qu’on s’intéresse davantage aux firmes de services-conseils qui ont pour profession de saigner les États.

Le NPD et le Bloc talonnent les libéraux à ce sujet depuis 2015. M. Trudeau se dit sans doute que ces mesures ne permettraient pas de récolter autant d’argent que l’opposition le prétend. Mais si cela aide un peu, qui serait assez cave pour s’en priver ? Pour l’instant, la réponse est : nous tous.