Permettez que je rebondisse sur cette enquête du Consortium international des journalistes d’investigation sur l’utilisation de paradis fiscaux par des fleurons de l’élite internationale artistique, sportive, des affaires et de la politique pour soustraire leur fortune au fisc.

Notre Jacques Villeneuve à nous, la Shakira des Colombiens, le dictateur Abdallah II de Jordanie, l’ancien PM britannique Tony Blair, la maîtresse de Vladimir Poutine, le PM tchèque actuel, le patineur canadien Elvis Stojko : des centaines de riches et pas forcément célèbres ont vu leurs stratagèmes fiscaux éventés par cette fuite de documents remis à des journalistes d’enquête.

Ce n’est rien de nouveau, ces Pandora Papers. C’est la suite des Panama Papers qui montraient en 2016 que les ultrariches bénéficient de paradis fiscaux, d’États de complaisance et de sociétés-écrans pour ne pas payer leur juste part d’impôts. Et avant, il y avait eu les LuxLeaks.

Ce n’est donc rien de nouveau : des chercheurs, des journalistes, des essayistes, des politiciens dénoncent l’existence même des paradis fiscaux depuis des années. Alain Deneault a écrit un livre là-dessus, il n’est pas le seul…

Et rien ne change.

Bref, ces révélations-là ne changeront rien à rien.

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Si je rapporte trois bouteilles de vin dans mes bagages à mon retour au pays, et que je n’en déclare que deux, je vais être dans un sale pétrin si les douaniers fouillent lesdits bagages. On me dira que nul n’est censé ignorer la loi et l’amende sera salée. En plus, on me fouillera systématiquement à chaque retour au pays pendant deux ans.

Mais si vous envoyez vos millions se faire bronzer dans la discrétion d’un paradis fiscal pour les soustraire au fisc, là, les risques de subir des conséquences désagréables sont absolument microscopiques. Radio-Canada et CBC ont exposé les sales combines comptables de KPMG dans le passé, au bénéfice des ultrariches…

Pour 100 000 $, les clients fortunés de KPMG se faisaient monter des stratagèmes pour ne pas payer leur juste part du Trésor public.

Qu’est-il arrivé, après ces déclarations ?

Rien, ou presque.

Quand l’Agence du revenu du Canada découvre que des Canadiens ont eu recours à des paradis fiscaux pour soustraire leur fortune au fisc, que se passe-t-il ?

L’ARC négocie discrètement une amnistie, en échange du paiement des impôts dus… Sans pénalité et sans accusation au criminel.

Avez-vous déjà mal géré vos impôts personnels ? Avez-vous déjà été en retard dans la production de votre déclaration de revenus ? Si oui, vous le savez : le fisc ne niaise pas avec le puck. Les pénalités et les intérêts vont rapidement s’accumuler. Si vous devez de l’argent à l’impôt et que vous ne prenez pas d’arrangement rapidement, le fisc va carrément saisir votre salaire.

Je ne dis pas que c’est mal, comme approche. L’impôt finance les services publics qui profitent à tous, de la construction de routes à la formation de médecins, d’infirmières, d’enseignantes et de policiers en passant par le filet social imparfait qui profite à tous, même à ceux qui ne l’utilisent pas. L’impôt achète de la civilisation, selon les mots célèbres d’un vieux juge américain.

Donc, je résume : quand vous devez 1500 $ à l’impôt, le non-paiement rapide de ce solde fera exploser la facture totale, avec les pénalités et les intérêts imposés par le fisc… Mais cachez 15 millions à l’étranger, faites-vous pogner, et vous n’aurez pas une cenne de pénalité à payer à l’ARC : le fisc va « négocier » avec vous une amnistie.

Le Canada pourrait très bien décider de foutre ces gens-là — ceux qui fraudent le fisc et ceux qui montent les structures permettant la fraude à 100 000 $ par tête de pipe — en prison avec un peu de volonté politique.

On ne le fait pas.

La différence de traitement entre le contribuable moyen et les ultrariches devant le fisc nous rappelle cette vérité humaine : on écœure toujours ceux qu’il est facile d’écœurer.

Le contribuable moyen n’ayant pas 100 000 $ pour placer sa paie à l’étranger, il sera toujours plus facile de le saigner que de saigner Jacques Villeneuve.

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On dira que c’est compliqué, combattre le recours aux paradis fiscaux. Je n’en crois rien. Je cite Joseph Stiglitz, Prix Nobel d’économie : « Les régulateurs devraient traiter le secret fiscal de ces paradis fiscaux comme les porteurs d’une maladie dangereuse. Ils devraient être mis au ban du système financier mondial. »

Si les États-Unis peuvent imposer des sanctions appliquées par leurs alliés du monde démocratique à des pays comme l’Iran, avec menaces d’emprisonnement pour ceux qui bravent ces sanctions, les États-Unis pourraient très bien mener le combat contre les paradis fiscaux en coupant tout lien avec des États offrant un secret bancaire de complaisance qui favorise la fraude, la corruption et le non-paiement des impôts…

Mais ils ne le font pas. Et les autres pays sont tout aussi réticents à agir.

Il faut tirer les conclusions qui s’imposent. Stiglitz l’a fait : « Le capitalisme moderne est un jeu complexe et ceux qui gagnent sont bien sûr intelligents. Mais ils ont aussi des caractéristiques moins admirables, comme la possibilité de contourner la loi, ou de la façonner en leur faveur. »

Ce système de fraude fiscale profite à trop de gens pour qu’il soit démantelé, à trop de gens qui sont trop proches de ceux qui, ici et ailleurs, font les lois.

Sources

https://www.lapresse.ca/international/2021-10-03/paradis-fiscaux/des-canadiens-et-de-puissants-politiciens-impliques-dans-les-pandora-papers.php

https://www.theguardian.com/news/2021/oct/03/pandora-papers-biggest-ever-leak-of-offshore-data-exposes-financial-secrets-of-rich-and-powerful

https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/769235/agence-revenu-canada-millionnaires-paradis-fiscaux

https://www.cbc.ca/news/business/panama-papers-offshore-secrecy-report-stiglitz-1.3850956

https://www.lapresse.ca/debats/chroniques/patrick-lagace/201412/17/01-4828966-bombardier-altitude-immorale.php