Justin Trudeau a un beau dilemme : garder l’efficace Jonathan Wilkinson comme ministre de l’Environnement ou nommer plutôt l’écologiste Steven Guilbeault.

La prochaine conférence internationale sur le climat, la COP26, se déroulera en novembre. Avec M. Guilbeault à ses côtés, le premier ministre enverrait un puissant message. Et l’ex-militant serait prêt à faire le travail dès le jour 1. Il connaît le dossier sur le bout des doigts et il a déjà participé à plusieurs de ces rencontres.

Mais si M. Wilkinson reste en poste, ce ne serait pas une mauvaise nouvelle, loin de là. Parce qu’il avance déjà dans la bonne direction et aussi parce que M. Guilbeault pourra contribuer autrement aux dossiers environnementaux.

M. Trudeau jongle probablement avec un autre scénario : nommer M. Guilbeault ministre des Infrastructures.

C’est d’ailleurs ce qui était prévu en 2019. Selon mes informations, Catherine McKenna, alors ministre sortante de l’Environnement, devait être envoyée au Patrimoine canadien. Mais elle avait menacé de démissionner. Le premier ministre a changé ses plans pour l’envoyer aux Infrastructures. M. Guilbeault avait hérité du Patrimoine.

Mme McKenna ne s’étant pas présentée aux dernières élections, le ministère des Infrastructures est orphelin.

Ce poste est névralgique. Il gère des milliards pour financer les transports collectifs et actifs ainsi que les infrastructures vertes. Et il est aussi responsable de la Banque de l’infrastructure du Canada, un levier majeur pour développer les énergies renouvelables.

C’est aussi ce ministère qui devra se prononcer sur la demande de troisième lien entre Québec et Lévis…

À tout le moins, je ne vois pas M. Guilbeault rester au Patrimoine. À la suite d’une interview maladroite à CTV, les conservateurs se sont déchaînés contre son projet de loi qui exigerait que les plateformes comme Spotify et Netflix financent et promeuvent la culture canadienne et francophone. Le remplacer aiderait à relancer cette réforme nécessaire.

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Au Québec, la nomination de M. Guilbeault aux dossiers culturels avait été perçue comme une trahison. On y voyait la preuve que M. Trudeau avait instrumentalisé cet écologiste. Qu’il l’avait relégué au rôle de plante verte.

C’est mal comprendre comment fonctionne le Conseil des ministres.

L’environnement n’est pas le dossier d’un seul ministère. Il relève de plusieurs autres cabinets, comme les Ressources naturelles, l’Innovation, les Infrastructures et les Transports. Et les grandes orientations environnementales sont prises dans un comité auquel siègent quelques ministres.

M. Guilbeault en faisait partie et il collaborait étroitement avec M. Wilkinson.

Ce Vancouvérois est peu connu au Québec, mais cela ne le rend pas mauvais. Boursier Rhodes, ex-PDG d’une entreprise en technologies vertes, il a peu d’ego et il aime travailler en équipe, loin des caméras. Et à titre d’ancien adjoint parlementaire à Mme McKenna (de 2015 à 2018), il était tout désigné pour lui succéder.

PHOTO JEFF MCINTOSH, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jonathan Wilkinson en juillet dernier

Le premier mandat Trudeau fut très décevant en environnement. Sous M. Wilkinson, les libéraux ont déposé un plan sérieux – il mènerait à des réductions de gaz à effet de serre d’au moins 30 % d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005. Certes, cela demeure insuffisant pour atteindre la nouvelle cible (- 40 %) et se conformer aux avertissements des climatologues. Mais cela demeure un indéniable progrès.

On m’a raconté plusieurs anecdotes au sujet de la collaboration de MM. Wilkinson et Guilbeault.

Ils breffent parfois le premier ministre ensemble.

Ils ont aussi collaboré pour la tarification du carbone. En coulisses, M. Guilbeault proposait une cible plus élevée que celle de M. Wilkinson afin que cette dernière version paraisse plus acceptable. Ironiquement, ils ont finalement réussi à convaincre le Cabinet de retenir la version la plus costaude : une hausse annuelle de 15 $ par tonne.

À l’automne 2020, M. Guilbeault avait aussi consulté ses collègues au sujet de l’ébauche du plan vert de son collègue afin de prévenir les possibles frictions.

M. Wilkinson vise à créer des consensus à l’interne. Sous Mme McKenna, les frictions étaient plus fréquentes. Les dossiers devaient souvent être réglés par un proche de M. Trudeau, Gerald Butts.

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M. Trudeau entame son troisième mandat, qui pourrait être son dernier. Il doit commencer à penser à ses legs, et la crise climatique devrait figurer au sommet de ses priorités.

Les bonnes intentions ne suffiront pas. Certes, sa plateforme contenait des objectifs ambitieux, comme celui de plafonner puis de réduire les émissions du secteur pétrolier et gazier. C’est toutefois plus facile à dire qu’à faire…

Faudrait-il modifier par règlement la Loi canadienne sur la protection de l’environnement, qui inventorie déjà les polluants ? Ou plutôt élargir la portée de la loi sur la tarification du carbone ? À Ottawa, personne ne connaît encore la réponse, et les Prairies se battront devant les tribunaux.

Autre dossier complexe, les subventions aux énergies fossiles. Comment y mettre fin tout en encourageant les innovations vertes ?

Dans l’Ouest, la nomination de Steven Guilbeault serait perçue comme une déclaration de guerre. Mais M. Trudeau ne croit plus aux consensus avec les provinces. Son malheureux achat de l’oléoduc Trans Mountain n’a pas apaisé la colère de l’Alberta et de la Saskatchewan. Tant qu’à se faire haïr, mieux vaut que ce soit pour les bonnes raisons… Et je note que M. Guilbeault était souvent aux côtés du chef libéral lors des annonces de la dernière campagne électorale.

Un remaniement ministériel est un jeu imprévisible de chaises musicales. La décision est prise à la dernière minute par le premier ministre et sa garde rapprochée.

M. Wilkinson constitue une carte facile à déplacer. Issu du secteur privé, diplomate de caractère et spécialiste de l’innovation technologique, il pourrait être utile à plusieurs autres ministères.

Et grâce à la force de ses convictions et à son talent de communicateur, M. Guilbeault serait un excellent successeur.

Il y a un risque indéniable à déplacer un ministre compétent. Quoique si c’est pour faire place à un écologiste, ce serait un beau risque. Surtout pour un pays qui ne fait pas encore sa juste part.