Quand il a pris connaissance de la position des élus de la commission scolaire English-Montréal (CSEM) selon laquelle « le Québec n’est pas une nation », François Legault n’y est pas allé de main morte.

« Je pense qu’ils sont déconnectés, c’est comme si ce groupe-là était devenu un groupe radical. »

Même si le président de la CSEM, Joe Ortona (exclu comme candidat du parti Ensemble Montréal après avoir souscrit à ce point de vue), a reconnu que ce geste était une erreur, il y a lieu de s’interroger sur les prises de position récentes et l’attitude de cette institution.

C’est pour cela qu’il faut suivre de près le projet de construction d’une école primaire francophone à Mont-Royal. La décision que prendra la CSEM risque d’être un baromètre quant à son ouverture (ou sa fermeture) d’esprit.

Frappée par un bouleversement démographique qui a engendré un nombre important de nouveaux élèves francophones, la municipalité de 22 000 habitants est venue à la conclusion qu’elle devait se doter d’une quatrième école primaire pour accueillir cette jeune clientèle.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Classes modulaires installées dans la cour de l’école Saint-Clément Ouest

Les écoles Saint-Clément Ouest, Saint-Clément Est et l’Académie Saint-Clément sont tellement pleines qu’elles doivent mettre des élèves dans des classes modulaires installées dans les cours d’école. Cela a évidemment pour effet de priver les enfants d’un espace de jeux vital. Depuis la rentrée, 4 classes modulaires (bâtiments préfabriqués) de 26 élèves chacune ont été érigées aux abords de l’école Saint-Clément Ouest et 6 à l’Académie Saint-Clément.

Le projet de construction d’une nouvelle école a été formulé et envoyé au ministère de l’Éducation au cours des derniers mois par la municipalité de Mont-Royal et le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys.

Dès le début de cette crise, une solution a été lancée : celle de construire cette école sur un terrain adjacent à l’école Dunrae Gardens, établissement primaire anglophone. Cet espace, propriété de la CSEM, est situé à l’angle du chemin Rockland et de l’avenue Dunrae.

L’emplacement est en effet idéal. Avec l’école secondaire Pierre-Laporte, située en face, et le parc Mohawk juste à côté, ce secteur pourrait devenir une mini cité étudiante.

Mais voilà, cette idée ne plaît pas du tout aux parents anglophones des enfants qui fréquentent l’école Dunrae Gardens. Ceux-ci ont exprimé leur désaccord l’an dernier sur les réseaux sociaux.

C’est la publication d’un message du député libéral Pierre Arcand qui a mis le feu aux poudres. Le 2 septembre 2020, Arcand a écrit sur Facebook : « Le terrain à côté de l’école Dunrae est libre. »

Devant le tollé que sa proposition a suscité, il s’est empressé de modifier sa missive. « Rentrée scolaire : les écoles primaires dans mon comté sont débordées. On coupe la cour de récréation de l’Académie Saint-Clément avec des classes modulaires. Qu’attend le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge, pour agir ? »

Puis, voyant que les esprits continuaient de s’échauffer, Pierre Arcand a publié un nouveau message le lendemain. « J’aimerais dire aux parents de l’école Dunrae Gardens qu’en aucun cas je fais la promotion de l’utilisation de l’un de vos espaces pour construire une nouvelle école primaire à Mont-Royal. Il y avait des discussions sur un projet au ministère de l’Éducation, mais s’il n’y a pas d’acceptabilité sociale, une autre solution devra être trouvée. »

Ce dossier est maintenant entre les mains des responsables du ministère de l’Éducation. Tout le monde attend une décision avec impatience. Or, j’ai appris que le Ministère a l’intention de se porter acquéreur du terrain situé… à côté de l’école Dunrae Gardens.

J’ai aussi appris que la municipalité serait prête à revoir la vocation du parc Mohawk, voisin de l’école Dunrae Gardens, afin de servir les élèves des deux écoles sur le plan récréatif. Bref, tout le monde y trouverait son compte.

Est-ce que le English-Montréal acceptera cette proposition ? Est-ce qu’il fera preuve d’ouverture pour aider la communauté francophone de Mont-Royal à trouver une solution ? Selon mes sources, les négociations avancent rondement.

Tant mieux si le climat est davantage positif, car le maire de Mont-Royal, Philippe Roy, me disait qu’il a été difficile de faire avancer ce dossier. « On travaille là-dessus avec le centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys depuis le jour 1 et ça va très bien. Mais avec le English-Montréal, on a zéro communication. On est incapables d’établir un dialogue avec eux pour trouver une solution. »

Plus prudente dans ses propos, la conseillère Michelle Setlakwe, qui tentera de briguer la mairie de Mont-Royal le 7 novembre prochain, a tenu à être nuancée. « Il n’y a aucune friction. Nous sommes une ville bilingue. […] Je comprends les parents qui s’inquiètent pour leurs enfants et leur environnement scolaire », a-t-elle dit avant d’ajouter que l’école Dunrae Gardens dispose en effet de « beaucoup d’espace ».

Du côté du English-Montréal, on a refusé de me parler. Le porte-parole Michael Cohen s’est contenté de m’écrire qu’« il n’y avait rien de nouveau » dans ce dossier. Pour sa part, le ministère de l’Éducation n’a pas souhaité commenter les discussions qui sont en cours.

Mont-Royal a longtemps été un bastion anglophone. Quarante ans après le premier référendum, la situation démographique s’est complètement inversée.

Les francophones sont maintenant majoritaires. Les anglophones doivent aujourd’hui se tourner vers des institutions comme les commissions scolaires pour faire valoir leurs droits.

Rappelons que Joe Ortona s’est opposé à la loi 21 sur la laïcité de l’État (qui ne s’applique pas aux employés de la commission scolaire anglophone à la suite d’un jugement de la Cour supérieure) et il s’est également opposé à la loi abolissant les commissions scolaires. Au début du mois de septembre, il a déclaré que le projet de loi 96 qui vise à moderniser la Charte de la langue française n’était pas « nécessaire ».

Que s’est-il passé au cours des dernières semaines ? La direction du English-Montréal a-t-elle réalisé que ses prises de position « radicales » ne devraient pas empêcher des enfants, qu’ils soient anglophones ou francophones, de jouir de bonnes conditions lors de leur parcours scolaire ?

On le souhaite ardemment.

En tout cas, ce projet houleux de faire coexister deux écoles primaires, francophone et anglophone, est devenu, bien malgré lui, un exemple éloquent de la dualité linguistique qui continue de régner au Québec. Mais il est aussi, il faut bien le dire, un symbole pathétique qui semble nous ramener des décennies en arrière.