Ça n’a pas été une traînerie. L’Assemblée nationale a mis la pédale au plancher, jeudi, pour faire adopter une loi interdisant les manifestations contre les mesures sanitaires à moins de 50 m des écoles, des services de garde et des établissements de santé.

Tous les partis étaient d’accord : il fallait à tout prix éloigner les hurluberlus antivaccins qui ne trouvent rien de mieux à faire que d’intimider les élèves autour des écoles.

Il fallait que ça cesse au plus sacrant.

Une bonne chose de faite, donc. Maintenant, il faudrait s’attaquer avec la même vigueur aux personnes non vaccinées qui menacent les élèves… à l’intérieur de ces mêmes écoles.

Celles-là sont peut-être moins tapageuses que les hurluberlus aux mégaphones, mais elles ne risquent pas moins de bouleverser la vie de centaines de familles à la fois.

Et pourtant, on ne sent pas la même urgence pour les mettre hors d’état de nuire.

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J’ai attrapé Isabelle au vol, entre une réunion Zoom et le énième appel à l’aide de son petit garçon, forcé de suivre ses cours en ligne. Elle était dépassée. « J’ai vraiment l’impression de revivre mon printemps 2020… »

Les deux fils d’Isabelle, âgés de 5 et 7 ans, fréquentent l’école Saint-Émile, dans le quartier Rosemont. L’école a dû fermer ses portes, cette semaine, en raison d’une éclosion de COVID-19.

L’aîné d’Isabelle a contracté la maladie. Les filles de sa voisine aussi. Des dizaines d’élèves ont été infectés. Au moins une enseignante, aussi.

Celle qui reçoit tous les groupes de l’école dans sa classe d’arts plastiques, au sous-sol.

Celle qui encourage ses élèves à retirer leurs masques en classe. Comme elle. Parce qu’on respire mieux comme ça, aurait-elle expliqué aux enfants…

Isabelle a fait ses recherches, sur le Net.

Elle est tombée sur le profil Facebook de cette prof d’arts plastiques. Il débordait de propos antivaccins et d’élucubrations complotistes.

Incroyable, mais vrai : l’enseignante qui côtoyait la totalité des 240 élèves non vaccinés de l’école Saint-Émile était… une antivax patentée !

Isabelle a vu rouge.

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Personne ne sait encore si cette enseignante est le « patient zéro » à la source de l’éclosion. Mais tout le monde la soupçonne d’avoir contribué à propager le virus à l’école.

Elle s’expose d’ailleurs à « des conséquences », a dit jeudi le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. « Ce n’est pas optionnel de suivre les consignes sanitaires », a-t-il rappelé au Salon bleu.

Mais pour Isabelle, ce n’est pas une question de respect des mesures sanitaires. L’enseignante n’aurait tout simplement pas dû pouvoir s’approcher des enfants.

Tous les parents sont en colère. Personne ne comprend pourquoi on tolère les enseignants non vaccinés à l’école.

Isabelle, mère de deux garçons qui fréquentent l’école Saint-Émile

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Au Québec, il faut être vacciné pour manger au restaurant, pour s’entraîner au gym, pour aller au cinéma. Bientôt, la vaccination sera obligatoire dans le réseau de la santé.

Mais dans les écoles ? Ces édifices où on regroupe en masse l’un des derniers groupes de Québécois encore vulnérables, puisqu’ils ne sont pas admissibles à la vaccination ?

Dans les écoles, tout le monde fait ce qu’il veut. Les enseignants, les éducatrices, les secrétaires, les concierges. Tout ce beau monde n’a pas à montrer patte blanche, encore moins un code QR, pour côtoyer les élèves.

Des milliers d’enfants non vaccinés à travers le Québec risquent ainsi d’être exposés au virus. « La place d’un non-vacciné, ce n’est pas avec des gens vulnérables, tranche Isabelle. On doit protéger nos enfants, et pour l’instant, la seule façon d’y arriver, c’est qu’ils aient un entourage 100 % protégé. »

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Bien que pleinement vaccinée, Isabelle ne sort plus, de peur de contaminer les jeunes enfants de ses amis, sa grand-mère de 91 ans ou sa mère immunosupprimée, en rémission d’un cancer, qu’elle n’a presque pas vue depuis un an et demi.

De toute façon, elle doit s’occuper de son fils malade. Elle n’a pas le temps ni le cœur de sortir. « Toutes mes activités sociales et professionnelles sont mises sur pause. »

Isabelle a perdu sa liberté. Ses enfants aussi. Et des dizaines d’autres familles de Rosemont. Alors, quand elle entend parler de liberté prétendument brimée par le passeport vaccinal, ces jours-ci, elle a tendance à perdre patience…

« C’est un choix, ne pas se faire vacciner. Ce n’était pas mon choix, faire entrer la COVID-19 chez moi. Depuis le 13 mars 2020, je m’informe et je suis les règles. »

Un an et demi qu’elle fait des sacrifices pour pouvoir sortir, enfin, de cette pandémie. Et la voilà de retour à la case départ, au printemps 2020. « J’ai vraiment l’impression de régresser. »

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Les experts étaient unanimes. Face à la menace du variant Delta, ils appelaient Québec à rendre la vaccination obligatoire dans le réseau scolaire. « Le temps presse », prévenaient-ils dans nos pages.

Lisez notre article sur le plaidoyer d’experts pour la vaccination obligatoire des enseignants

C’était le 24 août. Il y a exactement un mois.

Depuis, rien. La Santé publique ne recommande pas la vaccination obligatoire des enseignants. Elle en est toujours à l’étape de la collecte de données, me dit-on, pour déterminer le taux de vaccination du personnel scolaire.

C’est trop tard. On aurait dû se pencher là-dessus bien avant la rentrée. Déjà, 800 écoles sont touchées par au moins un cas de COVID-19 au Québec. Depuis quelques jours, des éclosions ont provoqué la fermeture de trois écoles : deux à Montréal, une à Sherbrooke.

J’imagine bien que la vaste majorité du personnel scolaire est vaccinée et déploie tous les efforts pour que nos enfants soient instruits en toute sécurité. Ce personnel fait des miracles, depuis un an et demi.

J’imagine tout aussi bien que des histoires comme celle de l’enseignante antivax ne courent pas les rues. C’est un cas isolé, me souligne-t-on au gouvernement.

Sans doute, mais ça ne console pas Isabelle, coincée à la maison pour les prochaines semaines. « C’est un cas isolé, mais qui finit par isoler pas mal de monde… »

Écoutez l’entrevue de Patrick Lagacé avec Isabelle, sur les ondes du 98.5 FM