Le 30 août 2018, toute la journée, des lecteurs m’ont écrit pour me dire : « Monsieur le chroniqueur, Sarah Palin a été gouverneure de l’Alaska, pas de l’Arkansas… »

J’ai toujours su que Sarah Palin, colistière de John McCain en 2008, avait été gouverneure de l’Alaska. Mais il s’est passé quelque chose dans mon cerveau quand j’ai écrit cette chronique. Un bogue.

Ce n’était pas la première fois que je me mêlais dans un nom, un lieu, une date – alors que je connaissais pertinemment le vrai nom, le vrai lieu, la vraie date…

Mais ce bogue du 30 août m’a particulièrement inquiété : je savais que Sarah Palin avait été gouverneure de l’Alaska et non de l’Arkansas comme je sais que Fabreville est à Laval.

Et si quelque chose, dans mon cerveau, était en train de dérailler ?

J’ai appelé Louis de Beaumont.

***

Louis a été le neuropsychologue de mon fils quand on lui a fait passer des évaluations qui ont abouti à un diagnostic à propos d’un trouble de l’attention.

J’ai dit à Louis que je voulais qu’il me voie pour essayer de dépister la nature du bogue qui me faisait parfois commettre des erreurs d’inattention stupides.

Gros bogue, petit bogue ; traitable, pas traitable ? Je voulais en avoir le cœur net.

Le neuropsychologue m’a reçu dans son bureau de l’hôpital du Sacré-Cœur, où il étudie le cerveau humain. Louis est un expert mondial, notamment, des commotions cérébrales.

« Écoute, je sais que je n’ai pas de déficit d’attention, je n’ai aucune difficulté à me concentrer…

– On va regarder ça. »

Il m’a écouté pendant 90 minutes, à notre première rencontre. Puis, sur plusieurs rencontres qui se sont étalées sur quelques mois, le neuropsychologue m’a fait subir une série de tests. Lancer le plus de noms de légumes possible pendant 60 secondes, écouter une histoire simple et la lui relater 10 minutes plus tard, compter le nombre de bips aigus dans une séquence bips aigus et graves, cliquer sur la barre d’espacement de l’ordi quand apparaissent sur l’écran toutes les lettres de l’alphabet… Sauf le X, qu’il faut laisser flasher sans toucher à la barre.

Ça, c’était le côté « neuro ». Le côté « psy » consistait, à chaque rencontre, en une discussion où il me posait des questions sur mon histoire de vie, ma gestion d’horaire, mes craintes, mes forces. Il tentait de comprendre, en marge des tests paramétriques, comment mon cerveau fonctionne.

À notre dernière rencontre, il m’a annoncé le diagnostic.

« Tu as un déficit d’attention, avec hyperactivité. »

Les deux bras m’en sont tombés.

« Ben voyons. Ça se peut pas. Regarde tout ce que je fais dans une semaine : comment je peux faire ça ET avoir un déficit d’attention ? »

Ce n’est pas incompatible, m’a-t-il expliqué, pas du tout : tu es passionné par ce que tu fais : quand tu finis une chronique et que tu dois faire une entrevue pour la télé, ton cerveau fait un « reset » à chaque nouvelle tâche. Et, a ajouté le neuropsy, ton cerveau a appris à contourner ce trouble neurodéveloppemental.

« OK, et pour Sarah Palin-gouverneure-de-l’Arkansas ?

– À quelle heure tu l’as écrite ?

– En soirée.

– Voilà. Tu avais ta journée dans le corps. Je pense que tu n’aurais pas fait cette erreur si tu l’avais écrite à 10 h du matin. »

Je savais alors que j’allais, dans quelques mois, commencer à animer l’émission du retour au 98,5 FM. Louis aussi. C’est pour ça qu’après avoir analysé le résultat de mes tests, après m’avoir écouté lui parler de mes attentes et de mes craintes, il m’a dit que prendre du Vyvanse pourrait être utile, dans mon cas.

J’étais sous le choc : à 47 ans, j’apprenais que j’avais un TDAH et qu’un psychostimulant pourrait en corriger certains effets néfastes, comme mêler des noms, des lieux, des dates.

À l’été 2019, j’ai commencé à prendre du Vyvanse.

***

Prendre 10 mg de Vyvanse a fait accélérer le hamster qui roule toujours dans ma tête. Ce hamster aurait soudainement pu gagner le 100 m olympique, sur le Vyvanse, stéroïde pour le cortex.

J’avais l’impression qu’un petit moteur vrombissait quelque part dans ma poitrine. Rien de terrorisant, mais je « sentais » toujours une sorte d’effervescence en mon for intérieur. Parfois, je regardais mes mains, m’attendant même à les voir trembler légèrement… Rien.

Cette sensation n’était pas incapacitante. Elle ne me rendait pas malade. Mais j’avais l’impression de sentir mon corps comme jamais je ne l’avais senti. C’était… dérangeant.

Puis, un soir, j’ai appelé une recherchiste de ma connaissance « Joëlle » alors qu’elle s’appelle « Raphaëlle » et que j’ai toujours su qu’elle s’appelle Raphaëlle.

Raphaëlle, Joëlle ; Alaska, Arkansas…

Malgré le Vyvanse, un autre bogue, une autre boulette.

Et si ces bogues étaient… normaux ?

Plus tard, après réflexion, peu avant de commencer la radio, j’ai décidé de cesser de prendre la médication.

Et si je faisais, à cause du TDAH, des erreurs de nom, de lieux ou de dates ? Ainsi soit-il : l’erreur est humaine.

Et puis, les tests m’avaient rassuré : rien, dans mon cerveau, n’était en train de dérailler. J’avais un TDAH sans le savoir.

Les séances avec Louis m’avaient permis de mieux me comprendre. De mieux comprendre pourquoi mon attention, depuis toujours, partait à la dérive. De mieux comprendre pourquoi, à l’école, j’avais eu de la difficulté avec certaines matières… qui ne m’intéressaient pas.

Après réflexion, j’ai décidé que prendre de la médication, à 47 ans, n’était pas un gain net dans ma vie.

***

C’est juste mon histoire. Elle commence et elle s’arrête avec moi. Je ne conseille ni ne déconseille le recours aux psychostimulants à quiconque, que ce soit pour les enfants ou les adultes. Je reconnais que les psychostimulants peuvent être utiles, qu’ils peuvent faire une différence dans la vie d’enfants et d’adultes.

Cependant, je sais ceci : prescrire du Ritalin, du Vyvanse ou du Concerta doit être l’aboutissement – ou pas – d’une évaluation méticuleuse, comme celle que j’ai subie chez le neuropsychologue Louis de Beaumont.

Et cette évaluation doit être pilotée par un professionnel de façon rigoureuse, après plusieurs séances, en vertu d’un protocole qui… prend du temps.

Ça ne se fait pas en une seule séance chez un médecin de famille, après consultation d’un site web mis en ligne par une entreprise qui vend des psychostimulants.

Et on a de moins en moins de temps, dans la vie, n’est-ce pas ? C’est vrai pour les parents, pour les médecins. Pour les étudiants universitaires qui veulent gagner du temps avec des psychostimulants.

Autre observation : j’ai eu accès à cette évaluation neuropsychologique parce que j’en avais les moyens. Au privé, c’est 1600 $. Les listes d’attente pour cette évaluation au public sont… interminables.

Pour gagner du temps, on va au privé. Si on en a les moyens.

***

Je lis l’enquête de Katia Gagnon et je suis sidéré de constater que le Québec prescrit plus de psychostimulants que dans des territoires comparables. De constater que dans certaines écoles, on exige que des élèves turbulents soient médicamentés, comme condition de retour en classe.

Lisez l’enquête de Katia Gagnon « Adultes recherchent Ritalin »

Le drame, c’est que la pilule est souvent la seule solution rapide et disponible.

Pas surprenant : sur quelques décennies, videz les écoles des psychologues, orthopédagogues et travailleuses en éducation spécialisée – qui viennent en aide aux enseignantes qui ont des élèves turbulents – et la solution pharmacologique va s’imposer rapidement et naturellement.

Pourquoi le Québec prescrit-il plus de psychostimulants qu’ailleurs, chez les 6 à 17 ans ? Je pense que la réponse est davantage dans ce qui manque dans nos écoles que dans ce qu’on retrouve en pharmacie.

Pour les adultes, là, on est dans autre chose. On est dans le productivisme, on est dans la performance, on est dans la concurrence avec les autres…

Et avec soi-même.

Ce sont des maux de société qui ne se traitent pas, je le crains, avec des pilules prescrites aux individus en quatre minutes, sur un coin de table.