Oussama,

Tu as gagné.

C’est loin d’être facile de te concéder cela, toi qui as commandité et organisé les attaques de 2001 qui ont fait près de 3000 morts, tous innocents, dans le pire acte de terreur jamais commis aux États-Unis.

Mais il est difficile d’arriver à une autre conclusion que celle-ci, 20 ans plus tard : tu as gagné.

Après les attaques de 2001, les États-Unis ont répliqué avec toute la force permise par la plus grande économie du monde et avec tout le poids de l’armée la plus puissante jamais assemblée.

Ils ont envahi et occupé l’Afghanistan pour te retrouver et pour décapiter le régime des talibans, qui t’avait sciemment hébergé. Cette occupation a duré 20 ans.

Ils ont envahi et occupé l’Irak pour empêcher Saddam d’utiliser des armes de destruction massive qui n’existaient pas. Cette occupation a duré huit ans.

Parallèlement, les Américains ont développé une infrastructure de sécurité et de surveillance pour mener cette Guerre au terrorisme partout dans le monde : du Yémen à la Syrie en passant par des pays d’Afrique, les États-Unis peuvent maintenant pulvériser n’importe quel ennemi – réel ou pas – avec une frappe de drone, sans autre forme de procès. Et ils peuvent surveiller le monde entier, ou presque. Y compris leurs propres citoyens.

Tu as déjà dit, Oussama, que les attentats de septembre 2001 avaient coûté 500 000 $. Un misérable demi-million de dollars de l’Oncle Sam.

Sais-tu combien l’Oncle Sam a dépensé depuis 2001 pour la Guerre au terrorisme dans laquelle tu l’as attiré avec tes 500 000 $ et tes 19 psychopathes ?

Réponse : 5,8 billions de dollars US.

Ça, c’est si on prend en compte tous les coûts liés à ce qui se trouve sous le parapluie de la Guerre au terrorisme, Oussama, de l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak aux soins prodigués aux soldats blessés en passant par les rentes payées aux familles de soldats américains tués au combat, sans oublier une multitude de dépenses comme l’augmentation de la sécurité aux frontières et les contrats de sécurité privée aux États-Unis et ailleurs.

Je répète : 5,8 billions de dollars US.

Oui, Oussama, des billions, de l’anglais trillion.

Un billion, c’est 1000 milliards de dollars.

Je tiens ces chiffres du Costs of War Project, de la Brown University, qui fait une compilation des coûts de la Guerre au terrorisme, en plongeant dans les états financiers de l’État américain, lui-même assez peu enclin à publiciser les coûts réels et exhaustifs de l’effort de guerre depuis 2001.

À ces 5,8 billions, il faut en ajouter 2,2, pour les coûts médicaux à long terme des blessés américains, jusqu’en 2050.

Oh, j’oubliais : depuis 2001, la Guerre au terrorisme a été financée différemment de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre du Viêtnam qui, elles, ont été financées par des hausses de taxes et d’impôts et par l’émission de bons du Trésor.

La Guerre au terrorisme, elle, a été financée par des emprunts massifs. Les États-Unis ont déjà payé 1 billion en intérêts. Les intérêts futurs dépendent des taux d’intérêt sur les dettes contractées.

Donc, Oussama, ton investissement funeste a été payant. Ton demi-million de dollars de 2001 a entraîné une réponse de 5,8 billions de dollars jusqu’à maintenant.

À des fins de comparaison, les États-Unis ont en 2021 un déficit d’infrastructures – ce qu’il en coûterait pour rénover les autoroutes, les ponts et les chaussées, les aéroports, les aqueducs, les écoles, les parcs, les usines de filtration d’eau, etc. – de 2,59 billions.

Ça, c’est le cash, Oussama. La simple et froide logique comptable des chiffres.

Après, il y a tout ce qui ne se calcule pas en argent, en dette, en intérêts, en coûts par contribuable.

Il y a la souffrance des civils, des soldats, de leurs proches endeuillés ou terrorisés par des vétérans revenus brisés du front.

Il y a l’Afghanistan, où les talibans sont de retour aux commandes, 20 ans après avoir été « défaits » par les États-Unis… qui ont fui le pays dans le chaos.

Il y a l’Irak, pas encore véritablement pacifié, dont la déstabilisation a donné naissance à l’État islamique, qui compte des individus encore plus psychopathes que tes sbires d’Al-Qaïda.

Il y a que, depuis 20 ans, une énorme partie des énergies américaines ont été consacrées à une Guerre au terrorisme par définition impossible à gagner… Pendant que la Chine commençait son ascension.

Il y a tout ce fric – 5,8 billions de dollars – qui aurait pu faire du nation building aux États-Unis depuis 20 ans. On éduque combien d’enfants avec 5,8 billions, on construit combien de HLM, on donne des soins de santé gratuits à combien d’Américains ?

Il y a aussi tous les dommages que le 11-Septembre a infligés au tissu politique et social des États-Unis, Oussama…

Prends le clivage extrême qui caractérise la vie politique américaine. Le Parti républicain est aujourd’hui noyauté par la peur : la peur des élites, la peur des migrants, la peur des musulmans, la peur de tout, tout le temps ; la certitude que la fin du monde peut survenir à tout moment, qu’un ennemi se cache dans chaque « étrange », qu’il faut défendre l’Amérique de ses ennemis, nombreux et multiples…

Que le musulman est un ennemi absolu, aussi.

On ne voyait pas ça sous Reagan, sous Bush père, sous Clinton, ni même sous Bush fils. Enfin, pas comme ça, pas cette peur-là, instrumentalisée de cette façon. Pas comme une force absolument dominante de la vie politique américaine, comme c’est le cas aujourd’hui.

Après le 11-Septembre, pendant quelques années, les républicains ont réussi à garder le couvercle sur cette xénophobie folle qui caractérise le Parti républicain de 2021.

Puis, Obama est arrivé, et la droite américaine est devenue l’extrême droite. Des pans entiers du Parti républicain croyaient dur comme fer que ce président noir était en fait musulman (faux) et né au Kenya (faux, encore). Qu’Obama était un cheval de Troie musulman qui allait détruire les États-Unis (faux). Cette radicalisation a préparé le terreau pour que Donald Trump devienne président, lui qui se faisait le champion de cette théorie du complot absolument débile…

Et sous Trump, le clivage s’est accentué. Une certaine idée des États-Unis a été grugée par l’extrémisme des trumpistes, qui ont fait la guerre aux normes démocratiques de leur pays, à ses institutions, et qui ont même tenté un putsch le 6 janvier dernier.

Les trumpistes, vois-tu, Oussama, ont peur de tout, même s’ils roulent les mécaniques et prétendent n’avoir peur de rien.

Je pense qu’il y a 20 ans, tu as semé les germes qui ont permis cette radicalisation d’un des grands partis de ce pays. Dans un pays où il n’y en a que deux, c’est un problème.

As-tu vu, de ton nuage, les images du 6 janvier, Oussama ?

As-tu vu de quelle façon ils ont attaqué le siège de leur démocratie, saccagé la place, cherché (en vain) un vice-président dans l’espoir de le pendre, dans un esprit que ne renieraient pas les talibans ?

Vingt ans après le 11-Septembre, les Américains se dévorent entre eux.

Il y a un petit peu de toi dans cette guerre civile larvée qui divise les USA.

Tu demeures un salaud, Oussama, mais ton coup de poker du 11 septembre 2001 a été gagnant. Il faut être aveugle pour ne pas le voir.

Sources :

Consultez l’article « The Twenty Years’ War », de The Atlantic (en anglais) Consultez l’article « Costs of the Afghanistan war, in lives and dollars », de l’Associated Press (en anglais) Consultez un estimé des dépenses américaine de la guerre post-11-Septembre (en anglais) Consultez l’article scientifique « The U.S. Budgetary Costs of the Post-9/11 Wars » (en anglais) Consultez un article sur le déficit d’infrastructures aux États-Unis, de Reuters (en anglais)