De n’importe qui d’autre, dans n’importe quelles autres circonstances, ce que raconte Robert Piché sur ce qu’il a vécu dans le cockpit de son Airbus en perdition en août 2001 pourrait sembler ésotérique.

Mais c’est Robert Piché, c’est le commandant du vol TS 236 qui parle.

Alors on le croit.

« J’ai senti une main sur mon épaule, mon père pointait l’île. Je me suis levé la tête : l’île était là. Mon père, son cœur s’est arrêté de battre quand il était dans mes bras. On y croit ou on n’y croit pas, mais c’est de même que je me suis senti ce soir-là… »

Cette confidence, Robert Piché la fait à Paul Larocque dans le documentaire 19 minutes : l’exploit Piché, diffusé lundi à TVA, à 21 h, pour souligner les 20 ans de cet exploit inusité dans les annales de l’aéronautique : le vol plané d’un gros porteur au-dessus de l’Atlantique, après une perte de carburant, sur une distance de 273 km.

Robert Piché est un de mes héros personnels. Pour le calme dont il a fait preuve, pour la maîtrise qui a sauvé plus de 300 passagers dans des circonstances terriblement difficiles, bien sûr. Mais surtout, surtout, pour son histoire personnelle.

Ce n’est pas facile de poser un avion de ligne sur un caillou dans l’océan au terme d’un vol plané, alors que la plupart des instruments sont kaput. Mais ce n’est pas facile, non plus, de changer sa vie du tout au tout. De larguer un passé qui l’avait fait atterrir en prison pour trafic de drogue en 1983 avant de se reprendre en main et de devenir un pilote chez Transat, en 1996. D’admettre ses problèmes de dépendance, de les surmonter.

Et de faire œuvre utile en parlant de cette dépendance à l’alcool, en se mettant à nu sur la place publique pour dire que lui, le héros national, menait un combat intime : je m’appelle Robert Piché, je suis alcoolique. Les héros sont des humains et les humains sont faillibles.

Robert Piché a utilisé sa célébrité pour dire à ceux qui sont enfermés dans l’enfer de la dépendance qu’on peut s’en sortir, un jour à la fois. Il a fait des conférences partout, pour marteler le message qu’on peut s’en sortir.

Alors il y a l’exploit de 2001, bien sûr. Robert Piché a corrigé sa propre erreur de façon magistrale et inespérée, ce qui a forcé l’admiration bien au-delà des frontières du Québec : dans un portrait du fameux commandant « Sully » (qui a posé son avion sur l’Hudson en 2009), le journaliste américain spécialisé en aéronautique William Langwiesche consacre de longs passages admiratifs à un autre vol plané, celui du commandant Piché1.

Mais il y a surtout l’exploit d’une vie dont Robert Piché a repris le contrôle, alors qu’elle était en perdition. Je l’admire pour ça, aussi. Je l’admire immensément.

Récemment, je l’ai reçu en entrevue à la radio. Pendant l’entrevue, un homme m’a écrit pour me dire qu’il avait lu le livre du commandant Piché alors qu’il était en prison…

C’était le premier livre que cet homme lisait.

« Dites-lui que depuis, j’ai lu 19 livres… »

Le gars m’a écrit ça, 19 livres lus, tout fier ; c’est son exploit, son vol plané au-dessus de l’océan à lui. En lisant le message de cet homme, je me suis dit – encore – que Robert Piché était un héros pour bien plus que son exploit d’août 2001.

Dans le documentaire de TVA, Robert Piché raconte donc qu’il a eu un choc quand le deuxième moteur a lâché, quand l’Airbus s’est mis à planer. Il a eu peur de mourir. Il a eu un moment où tout était flou : « C’était insensé », dit le commandant.

Pendant des années, Robert Piché a réfléchi au sens de son exploit. Pourquoi lui ? Pourquoi c’était lui qui était aux commandes ?

Il croit, après toutes ces années, avoir trouvé un sens à son exploit.

On essaie tous de donner un sens à notre vie. On vient au monde, puis on meurt. Et entre les deux, on essaie de donner un sens à notre vie…

Robert Piché

Et quand le deuxième moteur a lâché, Robert Piché a penché la tête, s’est dit que ça ne se pouvait pas : « La vie ne faisait plus de sens. »

C’est là qu’il a senti cette main sur son épaule, celle de son père. « Il riait », il pointait l’île, dit Robert Piché, l’île de Terceira, celle où se trouvait l’aéroport militaire… « Quand je me suis levé la tête, l’île était devant moi. »

Pourquoi lui ?

Robert Piché a une piste de réponse, 20 ans plus tard : « Je commence à mettre sur pied un centre de thérapie pour alcooliques et toxicomanes. Ça va être mon héritage. Le fameux sens qui a disparu, quand le deuxième moteur s’est arrêté. »

1. Lisez l’article de William Langwiesche (en anglais)