Une certaine incertitude demeure quant à l’identité du premier ministre du Canada en 2031.

Mais j’ose une prédiction peu risquée : cette personne ne sera ni Justin Trudeau ni Erin O’Toole. Et elle sera prise avec le poids de leurs promesses.

Le chef conservateur s’engage à atteindre le déficit zéro d’ici 10 ans. Pour l’instant, sa cible ne veut pas dire grand-chose. Il ne s’est pas encore donné de feuille de route pour y arriver. On sait seulement qu’il mise sur une croissance économique optimiste de 3 %, sans faire de compressions. Les détails devraient venir bientôt lors du dévoilement de son cadre financier.

Avec le chef libéral, ce n’est guère mieux. Il ne parle même plus d’équilibrer le budget. Dans son programme présenté mercredi, les nouvelles dépenses sont trois fois plus élevées que les revenus. Cela se traduit par un ajout annuel moyen d’environ 15 milliards au déficit.

Au-delà des chiffres, cela pose un problème de discipline. En l’absence de cible, il manque d’incitatif pour contrôler ses dépenses. Un milliard de plus ou de moins, quelle est la différence ?

À la Chambre des communes, les conservateurs sont les seuls à exiger une retenue budgétaire. Avant la pandémie, ils reprochaient aux libéraux d’avoir abandonné leur promesse d’éliminer le déficit d’ici 2019. Et ils se demandaient pourquoi M. Trudeau voulait tant « stimuler la croissance » alors que l’économie roulait déjà à plein régime. Mieux vaut être prudent, disaient-ils, au cas où une crise imprévue surviendrait…

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Cela dit, de grosses nuances s’imposent.

Il n’est pas exact de dire que les libéraux n’ont pas de cible. Ils s’en sont trouvé une nouvelle : réduire le ratio de la dette par rapport au PIB. Ce taux baissait avant la pandémie, et il recommencera à diminuer l’année prochaine.

Le directeur parlementaire du budget (DPB) n’est pas catastrophé, loin de là. Juste avant l’été, cet officier indépendant a mis à jour ses projections sur l’avenir financier du Canada. Même après le dépôt du budget printanier, les finances publiques du fédéral étaient jugées « viables » à long terme. La raison : les programmes d’aide pour la COVID-19 sont temporaires.

Lisez le rapport du DPB

En juin, le DPB calculait que le fédéral pourrait encore augmenter ses dépenses annuelles de 18 milliards sans inverser cette tendance. Avec ses nouvelles promesses, M. Trudeau a réduit cette marge.

Certes, le poids de la dette recommencera à baisser l’année prochaine. Mais les taux d’intérêt ne resteront pas éternellement au plancher.

L’Institut des finances publiques et de la démocratie (IFPD), organisme indépendant présidé par l’ancien DPB, a évalué la plateforme libérale. Selon lui, les projections économiques et fiscales demeurent « crédibles », et le cadre financier est « bon ».

Lisez le blogue de l’IFPD (en anglais)

Mais ce n’est pas parce que le fédéral peut dépenser qu’il doit le faire.

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Selon le DPB, à long terme, les finances des provinces ne sont pas viables. Leurs dépenses vont augmenter et leurs revenus vont diminuer, notamment à cause du vieillissement de la population. Le Québec, l’Ontario et la Nouvelle-Écosse sont les seules exceptions. Mais il en faudrait peu pour que cela change.

Cela nous ramène aux dépenses promises en santé par les libéraux et les néo-démocrates, ainsi qu’au partage des responsabilités. Ces partis veulent profiter de la marge de manœuvre du fédéral pour imposer leurs préférences aux provinces fauchées.

Les conservateurs ont une approche moins centralisatrice. Au lieu d’imposer leurs priorités, ils hausseraient le transfert en santé. La hausse initiale ferait l’objet d’une négociation. Par la suite, cette somme serait indexée de 6 % par année.

Il se peut que les conservateurs n’y consacrent pas plus d’argent que les libéraux. Mais au moins, ils le feraient en respectant les provinces.

Il y aurait toutefois une autre option. Sans surprise, personne n’en parle. Car elle est politiquement invendable. Et risquée pour le Québec.

Le fédéral pourrait transférer des points d’impôt aux provinces. Les contribuables verraient mieux à qui va leur argent. Et les provinces qui dépensent toujours plus en santé devraient se justifier.

Gros bémol, toutefois : tout indique que le Québec serait désavantagé par cette formule – les citoyens y étant moins riches, les imposer est moins payant.

Les provinces ne sont pas les seules à en arracher. Un déséquilibre semblable existe aussi avec le municipal. À part l’impôt foncier, les villes ont peu de sources de revenus. Et elles peinent de plus en plus à payer leurs transports en commun.

Lors de la campagne municipale de 2013, Mélanie Joly proposait que Québec cède un demi-point de TVQ à Montréal. Son opposant Denis Coderre l’avait ridiculisée. « Y a-tu un dimmer après ça ? », lançait-il en l’objectifiant. Aujourd’hui, il reprend l’idée pour que le fédéral cède un demi-point de TPS aux villes…

Ce sera difficile à obtenir. Aucun chef de parti fédéral ne veut prendre le pouvoir pour le déléguer en partie aux provinces et aux municipalités. On gagne des élections en promettant d’améliorer la qualité de vie, pas en refilant ce travail aux autres.

Reste qu’un peu de modération fiscale serait de meilleur goût. Elle donnerait de l’oxygène aux gouvernements de proximité pour effectuer leur travail. Mais à en juger par cette campagne, ce n’est pas ainsi qu’on gagne des votes.