Le débat sur l’avortement revient vers Erin O’Toole comme un boomerang.

Pourtant, à Québec mercredi soir, les propos du chef conservateur étaient clairs : « Je suis pro-choix et c’est important pour les femmes d’avoir accès à l’avortement d’un océan à l’autre », assurait-il.

Stephen Harper n’a jamais voulu exprimer publiquement sa position.

Andrew Scheer était pro-vie.

Erin O’Toole est le premier chef du nouveau Parti conservateur à se déclarer pro-choix.

On l’oublie, mais Justin Trudeau a déjà exprimé des réserves. En 2011, il se disait pro-choix tout en précisant être opposé à l’avortement sur le plan personnel, en raison de sa foi. Il dit être désormais entièrement pro-choix.

La clarté de la déclaration de M. O’Toole mérite donc d’être soulignée.

Les conservateurs croyaient ainsi mettre ce dossier derrière eux. Mais il les rattrape, et ils en sont un peu responsables.

On le sait, M. O’Toole a courtisé l’aile socioconservatrice de son parti pour gagner la course à la direction. Dans son programme, il lui a fait une concession. Les conservateurs proposent de « protéger le droit de conscience des professionnels de la santé ». Aucune précision n’est donnée.

Soit il enfonce une porte ouverte, soit il en ouvre une autre qui mène à de possibles problèmes d’éthique et d’accès.

Un médecin ou un infirmier peut déjà refuser de donner des soins si cela est contraire à sa conscience. Il doit toutefois orienter son patient vers un collègue. Au Québec, c’est une exigence.

L’article 24 du Code de déontologie précise que le médecin a l’obligation d’informer la personne de ses objections morales, puis de « l’aider dans la recherche d’un autre médecin ».

À Ottawa, l’opposition avait aussi réussi à ajouter un article au projet de loi libéral sur l’aide médicale à mourir pour confirmer qu’un médecin pouvait refuser d’accomplir ce geste ultime.

M. O’Toole soutient que sa nouvelle promesse est « équilibrée ». Mais en quoi consiste le prétendu déséquilibre actuel ? Que veut-il changer exactement ? Il ne le dit pas.

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À l’extérieur du Québec, des conservateurs ont dénoncé la loi sur l’aide médicale à mourir. Cela motive au moins en partie cette proposition sur la « liberté de conscience ».

Par définition, la personne qui demande à mourir n’est pas en grande forme. Qu’un médecin ne veuille pas lui donner la mort est une chose. Qu’il l’abandonne dans ses démarches, malgré cette vulnérabilité, en serait une autre.

D’ailleurs, ce n’est pas permis. La loi québécoise précise qu’un médecin doit prévenir son établissement « le plus tôt possible » s’il refuse une demande, afin qu’un collègue prenne le relais. En effet, le temps est compté, car le malade doit encore être jugé apte avant de faire cette demande. L’accès aux soins est en jeu.

Un débat similaire sur l’avortement s’est déroulé en Alberta. En 2019, un député provincial conservateur avait déposé un projet de loi pour protéger la liberté de conscience du personnel soignant. Là aussi, on se questionnait sur ses réelles intentions. Veut-on permettre à un médecin d’abandonner par exemple une femme demandant un avortement, sans même la diriger vers un confrère ? Le gouvernement Kenney s’y est finalement opposé.

On croyait tout cela fini. Mais M. O’Toole évoque à nouveau cette idée pour faire plaisir à l’aile pro-vie de son parti.

En début de campagne, la position du chef conservateur était facile à comprendre : son gouvernement ne déposera et n’appuiera aucune mesure remettant en cause le droit à l’avortement. Point final. Un député d’arrière-ban pourrait présenter un projet de loi privé, mais il ne serait jamais adopté.

M. Harper disait la même chose. Et malgré tout ce qu’on a dit sur son prétendu « agenda caché », il a tenu parole.

M. O’Toole donnait encore plus de crédibilité à cet engagement avec sa sortie pro-choix. Le nouveau chef a aussi avoué que son parti n’avait « pas toujours été clair », en faisant référence, sans le nommer, à son prédécesseur Andrew Scheer.

Alors pourquoi ce passage sibyllin dans le programme ?

Soyons clairs : contrairement à ce que prétendent les libéraux, M. O’Toole ne remettrait pas en cause le droit à l’avortement ou le droit à l’aide médicale à mourir, qui sont de toute façon protégés par les tribunaux. Mais il n’exclut pas d’en compliquer un petit peu l’accès.

Pour une patiente, ce pénible processus ressemble parfois à un entonnoir. Il n’est pas nécessaire d’y ajouter du sable.

En voyant M. O’Toole s’empêtrer dans ses explications jeudi, j’ai pensé à Stephen Harper.

À quel point l’ancien premier ministre craignait-il que le sujet lui nuise ? Assez pour convoquer les journalistes à 2 h du matin afin de préciser sa pensée…

La scène se déroule le 20 avril 2011. L’avion conservateur atterrit tard en soirée à Terre-Neuve. Durant le vol, les propos du député d’arrière-ban Brad Trost se propagent dans les médias. Il promet de réduire le financement accordé à un organisme international pro-choix.

PHOTO FRANK GUNN, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Stephen Harper, lors d’une conférence de presse improvisée, dans la nuit du 21 avril 2011, jurant que son gouvernement ne rouvrirait pas le débat sur l’avortement

Pendant que les Canadiens dorment d’un océan à l’autre, l’entourage de M. Harper appelle les reporters. On trouve un aréna, on allume les lumières et les micros. Le premier ministre jure que son gouvernement ne rouvrira jamais le débat sur l’avortement.

Fin stratège, M. Harper savait que la moindre ambiguïté lui ferait mal. M. O’Toole ne semble pas avoir appris sa leçon : on ne peut pas courtiser tout le monde en même temps.