L’émission s’appelle The Social et est diffusée quotidiennement sur la chaîne CTV from coast to coast. Comme de grands pans de la télévision canadienne-anglaise, on y singe la télévision américaine. Dans ce cas-ci, The Social imite The View.

Conseils beauté, entrevue avec une duchesse anglaise, comment utiliser les pelures d’orange : The Social s’adresse à une certaine idée de la ménagère qui regarde la télé à 13 h.

Eh bien, pour son segment débat, The Social a récemment décidé de rompre avec la légèreté de sujets comme « Faut-il toujours garder son animal en laisse ? », « Le sandwich est-il uniquement un repas de lunch ? » et « Jennifer Aniston ne mange qu’une chip par jour » pour aller jouer sur un terrain sérieux, en l’occurrence « Est-ce que le français est en danger d’extinction ? »

Quatre panélistes canadiennes-anglaises ont donc opiné sur le sujet, dans le cadre d’une émission organisée de Toronto. Nombre de francophones participant au panel : zéro !

Ce détail n’est pas anodin.

L’époque veut qu’on invite des femmes s’il est question d’enjeux féminins comme l’avortement, qu’on invite des Noirs s’il s’agit d’enjeux intrinsèquement liés aux Afro-Canadiens… Cette exigence est une saine affaire d’inclusion. Mais un débat sur le français : zéro franco !

Le résultat est un immense WTF, comme on dit à Toronto.

Shree Paradkar, chroniqueuse race et genre au Toronto Star, plonge dans la soue dès le début du débat : « J’aurais beaucoup plus de sympathie pour les Québécois s’ils avaient les mêmes préoccupations pour les langues autochtones… »

Tout de suite, ici, le cliché : s’il est vrai que le Québec est le château fort du français dans ce pays, il y a des francophones hors du Québec. Franco-Colombiens, Franco-Manitobains, Fransaskois, Franco-Ontariens, Acadiens : il y a des francophones partout. La chroniqueuse race and gender du Star l’ignore ou s’en sacre.

Lainey Lui a ensuite cité le tweet d’une téléspectatrice – Collette – qui disait qu’il fallait se soucier « 1000 fois plus » des langues autochtones « que nous n’entendrons plus jamais » que du sort du français dans ce pays…

Gros, gros soupir, ici : le fait français est soluble dans le Canada, c’est une évidence statistique depuis un siècle. Si ce pays a historiquement réussi à saper la langue d’un des deux peuples fondateurs en tolérant des lois racistes – comme le Règlement 17 qui a interdit en Ontario en 1912 l’enseignement du français –, imaginez à quel point les langues autochtones n’ont pas pesé lourd dans la balance.

L’anglais du Canada dilue toutes les autres langues, du français à l’ojibwé. Mais dans le progressisme torontois qui ne pense qu’en anglais, we can’t walk and chew gum at the same time : c’est le français OU les langues autochtones. Un faux dilemme stupide et commode.

Là, une autre panéliste dont je n’ai pas tout de suite remarqué le nom a pris la parole. Elle a commencé par dire ces mots : « C’est une évidence que le français ne va pas disparaître, il y a un pays entier qui s’appelle ‟la France” ! »

J’ai noté ces mots en me disant non, mais sérieusement, c’est tellement con, c’est con comme la Lune, ça ne se peut pas, qu’est-ce que ça peut bien foutre aux Fransaskois qu’il y ait des millions de Français en France qui parlent français, ça change quoi pour le poids démographique du français à Montréal…

Et là, la dame a continué à tombeau ouvert sur l’autoroute de la connerie, une autoroute sans limites de vitesse : « Quand j’allais voir ma sœur à Montréal, j’allais me faire couper les cheveux, et mon coiffeur était un Parisien de Paris… »

J’ai failli faire un AVC : elle va pas vraiment invoquer son coiffeur français-de-France ?

« Et je lui ai demandé : ‟Comment les gens te traitent-ils, ici, au Québec ?” Et il m’a répondu qu’aussitôt qu’il ouvre la bouche, on l’exclut, car il n’est pas d’ici… »

Là, j’ai reculé la séquence pour voir qui disait ces énormités…

J’ai pouffé de rire en voyant son nom : Jan Wong !

La carrière de Mme Wong au Globe and Mail a été pulvérisée après un reportage débile de 2006 dans lequel, après la fusillade de Dawson, elle a énoncé comme un fait reconnu que les fusillades dans les écoles montréalaises – Poly, Concordia et Dawson – ayant été commises par des enfants d’immigrants, il était évident que cette violence trouvait sa source dans… la loi 101.

Évidemment, sur les ondes de The Social, Jan Wong a déliré sur l’expression vieillotte « pure laine » pour parler des Québécois descendants des premiers colons français, y voyant une preuve de notre caractère tribal.

J’ajoute qu’une autre panéliste, Melissa Grelo, a révélé aux téléspectatrices de The Social que le français était chapeauté par une « police de la langue », celle de l’Académie française. Elle semblait sincèrement croire que les francophones du monde obéissent aux diktats des Immortels de l’Académie, la pauvre…

S’il s’agissait de rednecks obtus nostalgiques du Reform Party, ces conneries méprisantes à propos du français dans ce pays seraient simplement attendues. Mais non, ce qui est formidable, c’est que ça vient maintenant des milieux dits progressistes qui érigent la diversité au rang de religion.

On a de la sympathie pour toutes les minorités connues au bataillon…

Sauf les frogs.

Regarder le segment sur la langue française de The Social (en anglais) Lisez à propos du reportage de Jan Wong de 2006