Le député bloquiste Michel Boudrias n’a pas beaucoup dormi ces derniers temps – et ce n’est pas parce qu’il a été écarté de façon plutôt cavalière de la course électorale par son chef, Yves-François Blanchet.

Pas seulement, en tout cas.

Si le député de Terrebonne dort mal, c’est à cause de l’Afghanistan. Vétéran des Forces armées canadiennes (FAC), Michel Boudrias était « mentor de bataillon » à Kandahar, il y a 10 ans. Son rôle était d’assister les forces nationales afghanes dans les opérations de combat et de sécurité.

« En mentorat, plus que dans n’importe quelle unité militaire, on est intimement lié à l’armée afghane, mais surtout aux interprètes », explique-t-il.

Sans interprète, Michel Boudrias n’aurait tout simplement pas pu communiquer avec les troupes afghanes. Son traducteur le suivait du matin au soir, au point de devenir une sorte d’extension de lui-même. « On n’a fait qu’une seule et même personne pendant des mois de services sur le terrain. »

On s’en doute, c’est le genre d’expérience qui crée des liens. L’interprète de Michel Boudrias, qu’on ne peut nommer pour des raisons de sécurité, est devenu son frère d’armes.

Et on n’abandonne pas un frère d’armes sur le champ de bataille.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE MICHEL BOUDRIAS

Michel Boudrias et son interprète afghan

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Rien n’aurait pu illustrer le désespoir afghan de manière plus frappante – et horrifiante – que les scènes de chaos à l’aéroport de Kaboul, lundi.

Des gens qui s’accrochent aux roues d’un avion militaire américain s’apprêtant à décoller. Des images qui montrent ce qui semble être des corps qui tombent dans le vide. Comme les corps qui tombaient du World Trade Center, il y a 20 ans. Comme un retour à la case départ.

Un rappel glaçant des attentats terroristes qui ont tout déclenché : la haine, les massacres, la guerre dans laquelle la coalition internationale menée par les Américains s’est embourbée pendant deux longues décennies.

Ce désespoir, on l’entend dans les témoignages des Afghans terrorisés par la victoire fulgurante des fondamentalistes talibans. On le voit dans ces scènes de rue, où des commerçants se dépêchent de recouvrir de peinture les images de femmes qui décorent leurs vitrines.

À Kaboul, l’âge des ténèbres approche.

Parmi les millions d’Afghans désespérés, quelques milliers ont collaboré avec l’armée et les diplomates canadiens. Ils étaient interprètes, mais aussi chauffeurs, cuisiniers, gardiens de sécurité. Ils seront considérés comme des collabos par les talibans. Ils sont en danger de mort.

Et le Canada est responsable de leur sort.

Malgré la campagne électorale fédérale en cours, le gouvernement de Justin Trudeau doit remuer ciel et terre pour rapatrier ces hommes et ces femmes de toute urgence.

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Dès la fin de sa mission, en 2011, Michel Boudrias avait tenté de faire rapatrier au Canada son interprète et la demi-douzaine d’autres qui avaient servi dans son unité militaire.

Il s’était buté à une bureaucratie lourde et tatillonne. Pour être admissible, « il fallait qu’un interprète ait 12 mois de services continus pour les FAC. En général, une rotation militaire dure six mois, se rappelle-t-il. […] Les dés étaient pipés pour rendre pratiquement impossible l’exfiltration de ce personnel vers le Canada ».

Alors qu’une chape de plomb tombe sur l’Afghanistan, 10 ans plus tard, Michel Boudrias s’inquiète terriblement pour les interprètes de son unité. Depuis juin, il a entamé des démarches pour les retrouver et pour s’assurer qu’ils soient en sécurité. Il a refait des demandes de rapatriement.

Le député bloquiste commence à être connu parmi les membres de la communauté afghane du Québec. En voilà un qui tente au moins quelque chose pour nous aider, se disent-ils.

Vendredi, alors que les talibans se rapprochaient dangereusement de Kaboul, des Afghans désespérés ont déboulé dans son bureau de circonscription.

Ils lui ont parlé des interprètes, mais aussi des journalistes, des intellectuels et des défenseurs des droits de la personne qui risquaient de subir les représailles des talibans.

Ce soir-là, le député a rédigé des dizaines de demandes de rapatriement. Tard dans la nuit, il les a transmises à Affaires mondiales Canada. En espérant que sa signature change la donne.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE FACEBOOK DE MICHEL BOUDRIAS

Vendredi soir, Michel Boudrias a préparé en urgence des demandes de rapatriement au Canada pour 49 Afghans coincés à Kaboul.

Ce n’est pas garanti. « Je n’ai pas de solution miracle à leur offrir. […] Est-ce qu’un courriel provenant d’un élu a du poids ? Je l’ignore. Mais entre ne rien faire et tenter l’impossible, j’aime encore mieux tenter l’impossible. »

Depuis juin, Michel Boudrias a ainsi déposé 68 demandes de rapatriement, dont la moitié pour des enfants. Il est engagé dans une course contre la montre.

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Justin Trudeau jure que le Canada fait tout en son pouvoir pour évacuer le plus de Canadiens et d’Afghans possible de Kaboul. Le premier ministre a toutefois souligné lundi que la situation était « extrêmement dangereuse ».

En effet. Kaboul est aux mains de l’ennemi. L’ambassade a été fermée en catastrophe. Le personnel diplomatique a été évacué de toute urgence.

Alors oui, la situation est « extrêmement dangereuse ». Mais on se demande pourquoi ces Afghans n’ont pas été évacués avant qu’elle ne le devienne. On pouvait voir venir.

Il y a des années que les vétérans plaident la cause de leurs interprètes. En juin encore, trois anciens généraux ont exhorté le gouvernement à bouger.

Ce n’est pourtant qu’à la fin de juillet qu’Ottawa a annoncé un programme spécial pour les Afghans qui ont contribué à l’effort militaire et diplomatique. Sept longues années après le retrait des troupes canadiennes de l’Afghanistan.

C’est trop peu et, surtout, beaucoup trop tard.

Michel Boudrias plaide pour l’établissement d’un pont aérien entre Kaboul et une zone de rassemblement sûre hors de l’Afghanistan, où l’on pourrait procéder au « filtrage administratif » des personnes évacuées.

Ce n’est pas la procédure habituelle, convient-il. « Parfois, dans l’urgence, il faut faire entorse à la bureaucratie. »

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En terminant, une note de bas de page (et une primeur pour les électeurs de Terrebonne) : élu depuis 2015, Michel Boudrias entend conserver son siège pour les quatre prochaines années. Sa candidature ayant été écartée par le Bloc québécois au profit de Nathalie Sinclair Desgagné, il se lancera dans la course comme indépendant. Vous l’aurez lu ici en premier.