Ma sœur arrive en premier. Elle m’aide à tout préparer. On dresse la table sur la terrasse arrière. Puis c’est au tour du chum de ma sœur, de mon frère et de ma belle-sœur. Le frangin doute du ciel : « La météo annonce de la grosse pluie… » Je suis confiant : « La météo, c’est comme un politicien en campagne, faut pas toujours la croire ! » Voilà ma filleule Marjolaine et son conjoint, Yannick, une casquette des Expos sur la tête. Que saint Gary Carter nous protège des parties remises.

On entend des gazouillis. C’est ma nièce Gabrielle, son mari, Philippe, et surtout leur fils Édouard, 1 an et 8 mois. Tout de suite suivis par ma nièce Geneviève, son chum, Étienne, leur fille Simone, 8 mois, et mon autre nièce, Valérie. Tout le monde est là.

Nous sommes quatorze. Quatorze ! Ça fait une éternité qu’on n’a pas été quatorze. C’est beaucoup, quatorze ! Ça parle, ça rit, ça boit, ça mange. Ça vit. C’est beau. Trop beau. Je me sens coupable. Hors-la-loi. Ça ne se peut pas que j’aie le droit. Ça fait un siècle que je reçois une personne à la fois. Et puis pouf ! Voilà qu’apparaît une horde de Vikings dans ma cour. Qui prend ses aises et se répand. Comme dans le temps. Comme avant. Peut-on vraiment ? Je doute. Je retourne vérifier la règle sur le site du gouvernement : « À l’intérieur, jusqu’à 10 convives peuvent déguster un repas autour d’une table, ou les résidents de trois adresses différentes. Cette limite augmente à 20 personnes sur une terrasse, peu importe le nombre d’adresses. » On respecte la règle ! En plus, on est tous doublement vaccinés, sauf les bébés. Let’s party ! Ou plutôt : let’s moyen party !

Rien n’est plus naturel que de se retrouver en famille. C’est l’ancre. C’est l’équilibre. Cet été, c’est exceptionnel, parce qu’on en a été privés. Ça fait tellement longtemps que ce n’était pas arrivé.

OK, il y en a une partie qui vit au Nouveau-Brunswick, mais on se serait vus, au moins, aux Fêtes et début juin, quand le frère serait venu au Grand Prix.

À la place, on s’est zoomés en masse. À chaque anniversaire. Mais ça n’a rien à voir. Ou plutôt, ça n’a qu’à voir. Sur Zoom, on ne fait que ça, se voir. Mais là, on se sent, on se respire, on se ressent. On se trois dimensionne. Les personnes sont là, en vrai. Comme les fleurs. Comme les arbres. Elles ne sont pas dans le nuage. Elles sont sous les nuages. Tout le monde parle en même temps. Et tout le monde se comprend. Pas besoin d’allumer son micro. Ni de l’éteindre. On s’entend à tout moment. Et quand tout le monde se tait en même temps, c’est qu’un ange passe. Sûrement maman. Quoique ça pourrait être papa, mais papa n’est pas sorteux. Tandis que maman, c’est plus son genre, de venir sneaker dans le coin, voir si ses enfants, petits et grands, vont bien.

Chaque fois qu’on est tous ensemble, j’ai l’impression qu’elle est là. J’entends tout ce qu’elle dirait. Je sais quand elle rirait. Quand elle s’étonnerait. Quand elle nous dirait de ne pas nous obstiner. Qu’on a tous raison. Quand elle remercierait le bon Dieu de nous avoir réunis. On n’est pas quatorze, on est quinze. Même seize.

Avec papa. Mais il n’est pas dehors. Il est en dedans, en train de laver la vaisselle.

Tout ça pour dire qu’ils nous manquent, les parents. Encore plus lors d’un repas familial à la Frédéric, de Léveillée. Parce que c’était leur show à eux, durant toutes ces années. C’est eux qui nous ont placés autour de leur table, Bertrand, Dominique et moi.

On était cinq, et nous voilà presque le triple. Merci à Bertrand et à sa Marie-Andrée ! Quatre enfants et deux petits-enfants, ça comble les chaises vides.

La mort a beau scorer, c’est toujours la vie qui finit par gagner. Ce soir, on tourne tous autour des deux nouveaux arrivés, comme naguère nos parents devaient tourner autour de nous. Il n’y en a que pour Simone et Édouard. On s’extasie devant leur moindre mouvement, leur moindre balbutiement. Parce que rien n’est plus émouvant que deux êtres qui apprennent à être. À être avec nous. Tout en nous montrant comment être avec eux. Parce que c’est ça que ça doit être, une famille : les gens avec qui on est totalement qui on est.

Le soleil est couché depuis longtemps. Il l’a bien mérité. Il n’est tombé que des gouttelettes. On n’est même pas rentrés. On a mis l’auvent. Édouard se frotte les yeux. Ceux de Simone sont bien fermés. Les jeunes parents ramassent tout ce qu’il faut traîner pour les bébés. T’es sûr qu’on n’a rien oublié ? On parle déjà du party de la veille du jour de l’An. Ça va venir vite, malgré tout.

Comme elle a fait du bien, cette soirée.

L’évènement de l’été, ce n’est pas le Canadien en finale de la Coupe Stanley ou les Canadiennes sur le podium olympique. Ce furent de beaux moments. Mais l’évènement de l’été, c’est quand chacun de nous a retrouvé son nous. Sa famille au complet, sa gang d’amis, sa bande, son clan. Enfin.

C’est précieux, les tête-à-tête, ça réconforte, c’est profond. Mais ça prend aussi des fais-ta-fête. Pour se sentir entouré. Tout le tour.

Y a quelque chose de fort dans le fait que beaucoup de personnes se rassemblent, le même jour, au même endroit, avec comme seule raison de se donner de l’amour.

Allez, bon moyen party !

Et faites tout ce qu’il faut pour ne pas casser le party. Je dis ça sans vouloir piquer personne. Quoique…