Ça frappe l’imaginaire. Cinq personnes ont été visées par des tirs, boum, trois morts. Ça se passait à Rivière-des-Prairies (RDP), lundi soir. Dans l’Est de Montréal… encore. C’est souvent là que ça se tire dessus.

Le réflexe est bien évidemment de se tourner vers la police : eh, oh, vous faites quoi ? !

Ils font leur possible, avec les moyens qu’on leur a coupés, il y a quelques années. Il y a du rattrapage sous forme de moyens lancés en catastrophe, au gré des fusillades.

Mais il faut rappeler que sous le triste règne du directeur Philippe Pichet – de 2015 à 2017 –, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) a sabré les unités d’enquête sur les gangs de rue… En plus de faire la guerre à des policiers qui avaient des sources dans le milieu criminel1.

En effet, sous Pichet, nombre de policiers qui avaient des sources se sont fait chercher des poux par les pantins qui étaient enquêteurs aux Affaires internes du SPVM. Disons que ça n’a pas encouragé les flics à cultiver des sources.

Cinq ans plus tard, l’expertise perdue dans les unités d’enquête sur les gangs de rue serait bien utile pour savoir qui fait quoi dans certains milieux criminels, qui est soupçonné d’avoir des guns… Et pour cultiver des sources chez les bandits.

Au risque de vous étonner, oui, les policiers ont des sources dans tous les milieux criminels. Le SPVM paie cash des informateurs qui lui refilent des infos menant à des arrestations, à des saisies de drogue… Ou d’armes.

L’expertise en contrôle de sources s’est tarie sous le règne du chef de police de Denis Coderre (je cite l’ex-maire, en 2016, à propos de Philippe Pichet : « mon chef de police »). Cette expertise serait fort utile actuellement. Elle a été gaspillée.

Appeler la Sûreté du Québec (SQ) en renfort, comme l’a annoncé le SPVM, mardi ? La SQ n’a pas d’expérience vraiment utile sur le terrain, dans l’Est de Montréal. Poudre aux yeux.

Le réflexe après une fusillade comme celle de RDP est donc de se tourner vers le SPVM et de lui demander ce qu’il fait pour endiguer l’épidémie de fusillades… Mais la vie n’est pas un film de Bruce Willis, et la police ne peut faire tout le boulot pour régler ce genre de criminalité.

Parlez aux élus locaux dans les quartiers « chauds », parlez aux travailleurs de rue et aux organismes communautaires, et on vous parlera de pistes de solution qui ne sont pas spectaculaires, qui ne font pas de bonnes scènes de films avec Bruce Willis.

On vous parlera d’investir massivement dans la vie des jeunes de ces quartiers, de Montréal-Nord, de Saint-Michel, de Rivière-des-Prairies. Ajoutons aussi la Petite-Bourgogne, autre quartier où de petits caïds font peur au monde… Et en tuent, aussi.

Investir ? Je parle de parcs, de centres communautaires, d’activités de loisir, de sport, de culture. De donner de l’amour aux écoles de ces quartiers, aussi, ne pas lésiner sur le parascolaire, le personnel d’appoint. Investir dans les petits humains, pour éviter qu’ils ne grandissent tout croche2.

Dans Montréal-Nord, la mairesse, Christine Black, parlait en octobre dernier d’un « sous-investissement historique » de son arrondissement et des groupes communautaires. Ça coûte aussi cher de jouer au hockey organisé, de lancer un club de gymnastique ou d’avoir de l’aide aux devoirs dans ces quartiers qu’à Blainville ou à Outremont…

Mais les résidants sont plus nombreux à ne pas avoir les moyens d’y inscrire leurs enfants.

Ça donne ce que ça donne.

Bref, investir dans les enfants de ces quartiers, fournir hors de la maison – de l’appartement, le plus souvent – ce qu’ils ne trouvent pas chez eux. Ou ce que leur famille ne peut leur payer. En espérant que ça va payer, plus tard.

Tout ce que je viens d’énumérer aurait des effets à long terme, pas la semaine prochaine. Ça relève de Québec et de Montréal.

Puis, après, il y a Ottawa.

Qu’est-ce que contrôle Ottawa ?

Ottawa contrôle les lois. La Cour suprême a torpillé en 20153 une loi adoptée sous les conservateurs qui imposait des peines de prison minimales aux personnes arrêtées en possession d’une arme prohibée. La Cour suprême a jugé que la loi ne faisait pas la distinction entre une personne possédant une arme prohibée sans permis et une autre possédant un permis, mais qui aurait mal entreposé son arme.

Écho de sources policières : cette loi avait un effet refroidissant sur les têtes brûlées susceptibles de régler par balle leurs problèmes avec d’autres têtes brûlées, à cause des trois années de prison automatiques.

Ottawa contrôle les frontières : le Canada et les États-Unis partagent la plus longue frontière terrestre au monde. Elle est en grande partie non sécurisée. Il n’est pas difficile pour les importateurs canadiens d’armes illégales de profiter de la porosité de cette frontière4 Ou du laxisme de la réserve autochtone transfrontalière d’Akwesasne, qui chevauche les deux pays5.

Ce que ni Ottawa, ni Québec, ni Montréal ne contrôlent, c’est l’immense marché des armes chez nos voisins du Sud. Il y a plus d’armes que d’Américains, au Sud. On finit par en retrouver ici, au Canada, de Toronto à RDP en passant par Ottawa.

Et on en trouve facilement.

1. Lisez « Faut-il ressusciter les escouades “Gangs de rue” ? (2) » 2. Lisez « La poudrière de Montréal-Nord » 3. Lisez « La Cour suprême rejette les peines minimales obligatoires » 4. Lisez « Villages-frontières : le cauchemar territorial » 5. Lisez « Arrêté avec 250 carcasses d’armes à feu prohibées : William Rainville plaide coupable et est condamné à cinq ans »