Nadine Brière, la mairesse de Sainte-Adèle, abdique. Elle ne briguera pas de nouveau mandat en novembre prochain. Usée par une interminable bataille judiciaire, minée par des nuits blanches, des insultes et des menaces de toutes sortes, la politicienne laisse à d’autres le soin de prendre en main les destinées de ce charmant coin de pays.

Au cœur de cette décision, il y a l’incroyable saga de la croix de Sainte-Adèle, sorte de phare folklorique de la municipalité de 12 000 habitants. Vous avez sans doute déjà remarqué la présence de cette immense croix qui devait surplomber le mont Royal. Jugée trop petite, elle a été offerte aux habitants de la petite ville en 1927. Elle se dresse depuis sur le Sommet bleu.

Depuis des décennies, cette croix rassure les citoyens et amuse les touristes de passage. Mais lorsqu’au début des années 2000, l’homme d’affaires Marc Lupien a fait l’acquisition des terrains où se trouve cette structure illuminée, la croix est devenue un symbole de discorde et de querelle acrimonieuse.

Un acte de servitude, datant de 1970, montrait que la municipalité disposait d’un droit de passage afin d’avoir accès à la croix et ainsi assurer son entretien. Puis, de fil en aiguille, la municipalité a demandé au propriétaire de réaménager la voie afin de permettre aux véhicules de se rendre au pied de la croix. Jugeant que la pente était trop abrupte par endroits, Marc Lupien a créé un nouveau parcours qui lui a coûté 80 000 $.

Mais rien à faire, la municipalité tenait à ce que le propriétaire respecte le tracé d’origine. Cela et plein d’autres choses sont venus nourrir la longue et âpre bataille que se livrent Marc Lupien et la municipalité de Sainte-Adèle depuis maintenant plus de 15 ans.

De procès en procès, de poursuite en poursuite, les millions s’allongent. À ce jour, Sainte-Adèle a dépensé 2,4 millions en frais judiciaires. De son côté, Marc Lupien serait rendu à un total de deux millions.

Il y a actuellement une vingtaine de personnes, organismes ou successions qui sont visés par des poursuites engagées par Marc Lupien pour une somme totale de 13 millions de dollars. La municipalité de Sainte-Adèle tente aujourd’hui de démontrer que l’homme d’affaires fait preuve de quérulence.

Cette affaire divise les résidants de Sainte-Adèle. Certains trouvent que les élus auraient dû favoriser davantage le chemin de la conciliation (il y a eu quatre tentatives de médiation). D’autres trouvent en revanche que Marc Lupien fait preuve d’acharnement. La vision de ce dernier est tout autre : il est clair qu’il est la grande victime dans cette affaire.

« Quand j’ai fait l’acquisition du terrain en 2002 et que j’ai commencé les travaux de construction, tout était beau. J’ai tenté d’obtenir un dézonage pour réaliser un développement immobilier sur d’autres terrains. J’ai rencontré un fonctionnaire de la municipalité qui m’a dit que je devais d’abord lui verser une contribution personnelle. J’ai refusé d’embarquer là-dedans. Le cauchemar a commencé là. Ce qu’on a entendu à la commission Charbonneau, je l’ai vécu de l’intérieur. »

Originaire de Sainte-Adèle (son père a été maire de la municipalité dans les années 1950), Marc Lupien a notamment fait sa fortune en créant Nadair, entreprise spécialisée dans le domaine des luminaires. Après avoir reçu, selon ses dires, des « menaces de mort », il a quitté son domaine de Sainte-Adèle en 2016. « Il a été sécurisé, mais on n’y va plus », m’a-t-il confié.

Cette terrible saga, tout le monde la connaît et la subit à Sainte-Adèle. Et tout le monde a son opinion sur la chose, y compris le curé André Daoust qui, selon Nadine Brière, outrepasse son rôle de prêtre de la paroisse.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Nadine Brière, mairesse de Sainte-Adèle

Vous vous rappelez les curés qui se mêlaient de politique dans Les belles histoires des pays d’en haut ? Sachez que ça existe encore. Notre curé vient à toutes les réunions du conseil municipal. Il se mêle de tout. Il fait même du recrutement en vue des prochaines élections municipales.

Nadine Brière

Ce commentaire irrite au plus haut point le principal intéressé. Celui qui est à la tête d’un comité de citoyens qui demandent à la municipalité de cesser les procédures judiciaires ne cache pas qu’il est du côté de l’homme d’affaires Marc Lupien. « La mairesse me dit de m’occuper de mes paroissiens, m’a-t-il dit. Dans l’Église catholique, ce n’est pas de l’angélisme que l’on fait. On s’occupe des paroissiens dans toutes leurs dimensions, y compris les dimensions sociale et politique. Quand des citoyens sont victimes d’abus, il faut y voir. »

Élue en 2017 à la mairie de Sainte-Adèle après deux mandats comme conseillère, Nadine Brière a mené ce combat à bout de bras. Se sentant complètement abandonnée par le gouvernement, la mairesse a confirmé il y a quelques jours qu’elle ne serait pas de la prochaine course, de même que quatre autres conseillers. « On reçoit sans arrêt la visite d’huissiers, dit-elle. C’est un énorme stress. Cette forme de harcèlement est intolérable. Dans ce contexte, je préfère abandonner. »

Nadine Brière quitte la mairie de Sainte-Adèle en exprimant une grande déception face à l’inertie du gouvernement. « On a eu zéro aide, dit-elle. On a fait parvenir une lettre à la ministre des Affaires municipales, Andrée Laforest, de même qu’à Nadine Girault, qui est notre députée. Ça n’a rien donné. La démocratie est ébranlée en ce moment chez nous. J’ai des conseillers qui sont tombés malades à cause de cette situation. François Legault dénonce l’intimidation envers les élus. Mais dans les faits, quand ça arrive réellement, il n’y a rien qui est fait pour nous aider. »

Le problème, selon Marc Lupien, c’est que la municipalité de Sainte-Adèle est manipulée depuis trop longtemps par des avocats qui encouragent les démarches judiciaires.

La mairesse et les conseillers ne s’en vont pas parce que c’est leur choix. Ils s’en vont parce qu’ils vont être destitués. Et ils savent qu’ils ne seront pas réélus. J’espère qu’il y aura une nouvelle équipe et qu’on va régler ça.

Marc Lupien

Mais ce qui déçoit le plus Nadine Brière, c’est de voir que cette saga décourage tous les candidats potentiels en vue des prochaines élections du 7 novembre. « J’ai tenté de convaincre des gens d’embarquer, mais sans succès, dit-elle. Ils savent qu’ils vont se faire harceler et se faire poursuivre. M. Lupien va placer ses pions et on va avoir droit à une élection clés en main comme ça se faisait dans les années 2000. »

Si jamais il y a une nouvelle mouture contemporaine des Belles histoires des pays d’en haut, l’auteur devrait en effet aller passer quelques jours à Sainte-Adèle. Comme dirait Alexis Labranche : « Bouleau noir qu’il y aurait de la matière là. »

P.-S. : Vous souhaitez partager avec moi une histoire municipale qui a lieu dans votre coin de pays ? Ne vous gênez pas, je suis parlable !