Alors, vous avez envie de célébrer la fête du Canada, vous autres ? Moi, pas une miette. Non pas que je suis du genre à me dessiner un drapeau canadien sur le visage et à danser sur Alanis Morissette quand arrive le 1er juillet, mais cette année, je n’ai vraiment pas le cœur à la fête.

Un malaise m’habite. Et une forme de culpabilité aussi.

A-t-on le droit de célébrer quand on a dans la tête les centaines de corps retrouvés aux abords d’un ancien pensionnat autochtone à Kamloops, en Colombie-Britannique, et de celui de Marieval, en Saskatchewan ?

Vous me direz, c’était il y a de nombreuses années. Vous me direz que ce sont des religieux qui étaient là, que ce n’était pas nous directement. Il n’y a rien à faire, je pense au contraire que c’était nous. Et que c’était hier.

J’entends déjà certaines voix s’élever pour clamer que s’il fallait tenir compte de chaque faille de notre histoire, on ne fêterait plus beaucoup. Sauf que… Ces découvertes sont énormes et viennent brutalement confirmer quelque chose qu’on a tellement voulu glisser dans un coin de l’oubli. Ou de notre indifférence.

De là, le malaise. Et la culpabilité.

Je comprends totalement les villes qui embarquent dans le mouvement #cancelcanadaday et qui annulent leurs célébrations. Je salue leur décision courageuse. On doit reconnaître que c’est un peu plus facile pour les municipalités du Québec de dire qu’elles ne souligneront pas la fête du Canada.

On ne peut pas dire que ça swingue très fort en temps normal le 1er juillet chez nous… Ça prend toutes les misères du monde aux organisateurs du fédéral pour obtenir quelques artistes qui attirent des poignées de spectateurs dans les villes du Québec.

Donc, pas de feux d’artifice. Pas de gâteau rouge et blanc. Pas de drapeau canadien planté dans les casquettes.

En revanche, j’aime l’idée de certaines villes de changer la vocation de la journée de jeudi pour qu’elle devienne une occasion de rapprochement, de réflexion. Je veux dire, une vraie réflexion avec une vraie démarche, de vrais efforts.

Le 21 juin dernier, lors de la Journée nationale des peuples autochtones, Radio-Canada a présenté une fort belle émission dont le but était de nous faire découvrir la culture des nations autochtones. L’avez-vous regardée ? C’était très beau, très bien fait.

Si vous ne l’avez pas vue, vous avez une chance de vous rattraper. L’émission est toujours offerte sur ICI TOU.TV.

Il y a aussi le collectif On Canada Project, qui a créé une plateforme sur Instagram destinée, au départ, à informer la population sur l’évolution de la COVID-19. Mais au cours des derniers jours, elle est devenue un catalyseur qui offre des moyens aux allochtones d’exprimer leur solidarité à l’égard des Premières Nations.

On propose un choix d’actions à faire la journée du 1er juillet. L’une de ces mesures est de porter des vêtements de couleurs orange et noire. L’orange fait référence à la campagne Chaque enfant compte qui vient en aide aux survivants des pensionnats. Quant au noir, c’est évidemment pour souligner la période de deuil.

Justin Trudeau pense aussi qu’on devrait profiter de ce moment pour réfléchir. Il n’a pas vraiment le choix. Disons que le drame des pensionnats lui saute en plein visage. Il manque de superlatifs pour qualifier l’horreur qui nous rattrape.

De son côté, Erin O’Toole, le chef conservateur, se dit « troublé » de voir que les festivités sont annulées dans plusieurs villes. Il blâme le « petit groupe d’activistes » qui, selon lui, est à la tête de ce mouvement. Il a raté toute une occasion de se taire.

De quoi sont mortes les personnes dont on vient de retrouver les traces ? De maladies ? De mauvais traitements ? De mauvais soins ? Il est difficile de savoir si on connaîtra toute la vérité un jour.

Mais ces enfants, ces hommes et ces femmes n’avaient pas le droit d’être enterrés sans que leurs proches soient mis au courant. Sans qu’ils puissent savoir. Sans qu’ils puissent voir avec leurs propres yeux.

Cette douleur-là, elle s’agrippe, elle se transmet.

Les spécialistes appellent ça le « traumatisme intergénérationnel ». On a observé ce phénomène chez les victimes de l’Holocauste. On l’associe aussi depuis quelques années à celles des pensionnats autochtones.

Juste d’en parler me procure des frissons.

Après ça, on se demande pourquoi tant de misère, tant d’alcool, de drogue, de suicide, de détresse grugent les Autochtones. « Pourquoi ils ne se prennent pas en main ? », entend-on souvent.

Nous avons la réponse.

Depuis quelques jours, il est beaucoup question de ce sujet à la maison. Mon chum m’a rappelé ce moment de la pièce Antigone quand l’héroïne apprend que le tyran Créon interdit que le corps de son frère Polynice reçoive une sépulture et qu’elle ne pourra pleurer sa mort de façon appropriée.

En faisant cela, Créon fait fi d’une « loi inébranlable des dieux » si ancienne que nul ne sait « le jour où elle a paru ». La vie d’Antigone s’arrête, car elle veut offrir à son frère les honneurs funèbres qu’il mérite.

La femme se rend une nuit auprès du corps de Polynice et jette sur lui, comme le veut le rite, quelques poignées de terre.

Les familles de victimes de Kamloops et de Marieval n’ont pas eu droit à cela. Elles le savent et s’en souviennent encore.

Un malaise m’habite. Mais une peine aussi.

Alors, vous avez envie de célébrer la fête du Canada, vous autres ?