Deux villes, deux histoires de bancs publics, deux façons de les considérer.

À Paris, l’apparition d’un banc Davioud dans une vente aux enchères a soulevé un véritable tollé. Comment pouvait-on se débarrasser d’un exemplaire de ce célèbre banc à double assise et muni d’une base en fonte vert bouteille ?

Lorsque des défenseurs du patrimoine ont découvert que ce banc avait perdu la place qu’il occupait dans la ville à cause de la politique de réaménagement de la maire Anne Hidalgo, leur sang n’a fait qu’un tour. Une campagne de financement a été organisée, le banc a été racheté le 18 mai dernier et réinstallé.

Quant à la politique de Mme Hidalgo, elle fait maintenant face à une levée de boucliers. Le mot-clic #saccageparis a même été créé. Les défenseurs du patrimoine parisien ont la maire à l’œil.

Le banc Davioud (du nom de l’architecte Gabriel Davioud) a été imaginé en même temps que les colonnes d’information, les kiosques à journaux et les fontaines qui sont apparus lors des grands travaux de transformation du baron Haussmann au milieu du XIXsiècle.

Même s’ils ne sont pas très confortables et conviennent moins aux besoins et à la réalité d’aujourd’hui, ces bancs font partie du paysage de la Ville Lumière. Les amoureux de la culture parisienne tiennent à ce qu’ils restent présents.

À Montréal, ce sont les bancs de Michel Dallaire qui font l’objet d’une controverse. Le créateur de la torche olympique, du BIXI et du mobilier urbain du Quartier international (luminaires, poubelles, supports à vélo, etc.) a conçu les bancs publics de l’arrondissement de Ville-Marie au moment où Benoit Labonté y était maire, entre 2005 et 2009.

Le fils du célèbre peintre Jean Dallaire a imaginé des bancs avec deux accoudoirs au centre divisant le banc en trois parties distinctes.

ILLUSTRATION FOURNIE PAR MICHEL DALLAIRE

Modèle d’origine du banc de Michel Dallaire

Quelle ne fut pas la surprise du concepteur de découvrir, il y a quelques semaines, que sa création avait été complètement revue par des employés des ateliers de la Ville de Montréal où sont fabriqués ces bancs.

Michel Dallaire m’a appelé pour me dire sa colère. « Il y a un « twit » de la Ville qui a décidé de prendre les deux structures portantes et de les amener aux extrémités du banc. C’est d’une vulgarité, c’est d’un ordinaire stupide. »

Vous aurez compris qu’on a retiré les accoudoirs au centre du banc parce qu’on jugeait que cela n’était pas assez convivial. Cela m’a été confirmé par Geneviève Jutras, attachée de presse de Valérie Plante. « Les élus de l’arrondissement ont souhaité répondre à une demande citoyenne afin de rendre les bancs plus inclusifs. » L’administration Plante n’avait surtout pas envie de se faire reprocher la présence de ces bancs jugés « anti-itinérants » par certains.

Cet aspect a déjà été soumis à Michel Dallaire il y a quelques années. Il avait alors répliqué à ses détracteurs : « Je ne suis pas l’abbé Pierre du design. Je me préoccupe du confort des piétons qui veulent se reposer. Je pense aussi aux personnes âgées. Ces accoudoirs leur permettent de mieux se relever. »

Le concepteur défend sa réalisation en affirmant qu’il y a plusieurs façons de concevoir la convivialité. « Mes bancs ont été conçus pour que les gens puissent s’asseoir. De toute façon, des itinérants m’ont dit qu’ils ne viennent pas dormir sur les bancs du centre-ville. Il y a trop de bruit. »

Michel Dallaire a remarqué que lorsqu’une personne est présente sur un banc dénué d’accoudoirs, les autres ont moins envie de venir s’y asseoir. « J’ai créé ce banc de manière à ce qu’il puisse accueillir trois personnes sans qu’elles soient intimidées. »

La question de la convivialité à l’égard des sans-abri est une question préoccupante. Chaque administration y fait face. Souvenez-vous de Denis Coderre qui s’était opposé aux pics anti-itinérants qui avaient été installés devant certains immeubles en 2014.

Mais au-delà de cela, la question est plutôt de savoir si la Ville de Montréal a le droit de modifier le design d’origine de Michel Dallaire sans son consentement. « Ils n’ont même pas l’égard de traiter leurs professionnels comme il se doit, dit-il. Ils violent notre travail et font n’importe quoi avec. Je ne vais évidemment pas engager un avocat pour poursuivre la Ville, je n’en ai pas les moyens. Mais il faut dire à ces fonctionnaires qu’ils n’ont pas le droit de violer le travail d’un créateur. »

Pour Ysolde Gendreau, professeure au département de droit de l’Université de Montréal et spécialiste de la propriété intellectuelle, une foule de facteurs entrent en jeu. Il faut tenir compte de la Loi sur les dessins industriels qui offre une certaine protection si le créateur effectue des démarches en ce sens.

Et il y a la Loi sur le droit d’auteur qui offre « une reconnaissance théorique » à son créateur. « Il n’y a pas de droit moral pour les dessins industriels, explique Mme Gendreau. L’auteur ne peut pas revendiquer l’utilisation de son nom ni se plaindre de modifications à son dessin qui porteraient préjudice à son honneur ou à sa réputation. »

Si la Ville de Montréal détient le pouvoir de modifier le concept du designer, devrait-elle au moins le prévenir ou le consulter avant de passer aux actes ? Au bureau de la mairesse, on reconnaît que cette façon de faire a été une erreur. « Bien sûr, le concepteur aurait dû être avisé, mais il s’agit d’une erreur de bonne foi, bien que malheureuse », m’a dit Geneviève Jutras.

Je ne veux pas d’excuses, je veux qu’on remette mes bancs. Ou alors, qu’ils aillent chercher un autre concept. Ils ne doivent pas modifier mon travail.

Michel Dallaire

Michel Dallaire vient de concevoir le mobilier urbain de la « nouvelle » rue Sainte-Catherine. Pour les bancs, il a imaginé des accoudoirs amovibles qui peuvent être disposés n’importe où sur le banc.

« La décision de mettre des accoudoirs ou de ne pas en mettre reviendra aux prochaines administrations, dit le concepteur. Ce sont elles qui porteront l’odieux. Moi, j’ai appris ma leçon. »

Voilà de quoi alimenter votre prochaine conversation d’amoureux lorsque, comme le chante Brassens, vous irez vous bécoter sur un banc public.