« Je n’ai jamais pensé que je pourrais être aussi fier d’être québécois », disait René Lévesque après sa victoire historique en novembre 1976.

François Legault répète souvent à sa façon qu’il est fier du Québec. Peu après son élection, il a confié ceci à un proche conseiller : « Si on réussit à rendre les gens fiers, on aura gagné notre pari. »

C’était à la fois clair et intangible, se souvient la source.

Que signifie cette fierté de M. Legault et comment permet-elle de le distinguer de ses adversaires et de ses prédécesseurs ?

« La fierté de M. Legault est différente de celle de M. Lévesque », observe Jacques Beauchemin, professeur de sociologie à l’UQAM et ex-sous-ministre à la Culture sous le gouvernement Marois.

Selon lui, la déclaration du fondateur du Parti québécois était avant tout politique. Elle référait à un peuple qui s’arrache à sa condition canadienne-française pour devenir maître chez lui, maître de son avenir.

La fierté de M. Legault est davantage culturelle. « Elle consiste à se réjouir d’avoir survécu et de vivre encore en français dans un continent anglophone, à partager des valeurs et à faire de grandes choses. Maurice Duplessis aurait pu dire à peu près la même chose », soutient le sociologue.

Il s’empresse de préciser que cette fierté est « très positive » et explique « une bonne partie de son succès ».

Éric Bédard, professeur d’histoire à la TELUQ, partage cette lecture.

De 2000 à 2003, il était rédacteur de discours de M. Legault. « C’est un impatient qui préfère l’action aux symboles », analyse-t-il.

Quand M. Legault était indépendantiste, il avait la pédale au fond. Mais le projet se dirigeait vers un cul-de-sac, alors il a choisi de débarquer. Le chef caquiste « tolère mal l’ambiguïté », croit l’historien. Au lieu de se dire indépendantiste sans pouvoir faire avancer le projet, il est passé à autre chose.

M. Bédard fait un lien avec Robert Bourassa, qui répétait que la force du Québec venait de son économie. C’est cela, avec l’éducation, qui a motivé le retour en politique de M. Legault.

Même si la laïcité et l’immigration ont dopé sa popularité, elles l’intéressent moins. On le voit à son discours sur la loi 21. « Il faut en donner à la majorité », a-t-il justifié après son adoption. Dans le sens de : si c’est ça que les gens veulent, je vais le leur donner, mais ce n’était pas ma priorité…

Pour le chef caquiste, le dossier est devenu personnel à la suite des critiques du reste du pays. Plus le Canada anglais lui disait que le projet était illégitime, plus il y tenait au nom du droit du Québec de faire ses propres choix. « C’est comme ça qu’on vit », a-t-il déjà lancé. Mais les citoyens qui n’étaient pas d’accord se demandaient quelle place restait pour eux dans ce « on ».

« Ç’aurait été préférable d’expliquer de façon pédagogique comment la laïcité s’inscrit dans l’histoire québécoise », avoue M. Bédard.

Cette façon franche et crue de s’exprimer, sans dentelle et avec bonhommie, est aussi la force de M. Legault. Elle donne une impression d’authenticité. De proximité avec les gens.

Durant la pandémie, ce fut utile, croit Alain-G. Gagnon, titulaire de la Chaire de recherche en études québécoises et canadiennes. « Il a joué là-dessus pour appeler à la corvée nationale. »

Le respect des consignes, l’inscription à « Je contribue » ou encore la campagne de vaccination devenaient des questions de fierté. Une motivation plus puissante que de s’en remettre simplement à l’intérêt individuel.

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Si je fais la somme des clichés, le Québec devient plus polarisé tout en demeurant une société du consensus mou qui craint les débats…

La réalité est plus complexe. Mais ce qui me semble évident, c’est que malgré sa fragilité, une certaine cohésion sociale perdure.

La pandémie l’a démontré. À l’Assemblée nationale, chaque parti reconnaissait la menace de la COVID-19 et le rôle de la science pour la combattre. Les débats étaient vifs, ce qui est normal et sain. Mais ils se faisaient à l’intérieur d’une réalité commune.

Les extrêmes n’étaient pas relayés au Parlement et restaient plus marginaux que dans d’autres pays comme les États-Unis ou la France.

M. Legault en a profité, tout en y contribuant aussi par ses appels au sens commun et aux valeurs partagées. Selon Alain-G. Gagnon, la solidarité québécoise et l’importance des droits et devoirs collectifs ont aussi aidé à respecter les consignes sanitaires.

Le premier ministre espère bientôt passer à autre chose.

Depuis le début de son mandat, il décline la fierté en trois thèmes : la langue, la laïcité et la culture. Il a haussé les budgets en culture, sans qu’une grande idée s’en dégage. Cela va changer avec les Espaces bleus, des musées situés dans chaque région qui restaureront des édifices patrimoniaux pour y présenter des expositions sur l’histoire et la culture du coin.

La rhétorique de la fierté de M. Legault pousse toutefois certains de ses partisans dans une logique binaire : si vous n’êtes pas enthousiaste, vous êtes contre la fierté, et donc contre le Québec. Comme quoi la fierté peut aussi monter à la tête d’un peuple.

Au-delà des Espaces bleus, la fierté passera inévitablement par la fête nationale. La pandémie limitera les possibilités.

Pour les années suivantes, j’ai appris que Québec voudrait que la fête dure plusieurs jours et qu’elle ne se limite pas à un spectacle de chansons. Une programmation plus complète est envisagée, comme des projections historiques sur la face de lieux comme l’Assemblée nationale.

À la CAQ, tous applaudiront, autant les anciens indépendantistes que les vieux fédéralistes. C’est peut-être là le signe distinctif de la fierté de M. Legault et de sa coalition. Elle a désinhibé les fédéralistes qui n’exprimaient pas leur nationalisme auparavant, par crainte d’aider leurs rivaux péquistes. Ils s’affichent maintenant avec d’autant moins de réserve qu’ils savent que cela se fait dans le confort du statu quo constitutionnel.

C’est un retour en arrière, en quelque sorte, mais avec une force étonnante.