Si la rareté de la main-d’œuvre est réelle, le débat sur les seuils d’immigration est plutôt surréel.

Comme l’a déjà dit un barde, voilà beaucoup de bruit pour rien, ou presque.

Les libéraux et le patronat veulent accueillir plus d’immigrants. Une nécessité, selon eux, pour combler les besoins de personnel des entreprises. Pas question, rétorquent les caquistes, qui craignent que la capacité d’intégration du Québec ne soit dépassée.

Sur le plan politique, le débat est clair. Les libéraux essaient de dépeindre François Legault en reliquat du repli identitaire, tandis que les caquistes se posent en rempart contre un afflux de cheap labour que la nation serait incapable d’intégrer.

Ce sont de belles lignes d’attaque, qui ont le mérite de se hurler aisément. Mais quand on met les adjectifs de côté pour regarder les chiffres, la querelle se dégonfle.

Pour les seuils d’immigration, l’écart entre les caquistes et les libéraux est moins grand qu’on le dit. Et ce chiffre lui-même est moins important qu’on ne le prétend.

Le problème, ou la solution, est ailleurs.

Bien sûr, la rareté de la main-d’œuvre aide les travailleurs à se négocier de meilleurs salaires. Elle n’a donc pas que du mauvais. Mais ses inconvénients ne sont pas une vue de l’esprit non plus. Il suffit d’en parler aux entrepreneurs.

Anecdote à ce sujet : lors de la plus récente campagne électorale, le chef caquiste a débarqué dans une usine de Prévost Car, sur la Rive-Sud de Québec. Il y répète que le Québec doit temporairement accueillir moins d’immigrants. Selon lui, mieux vaut créer des emplois payants, à 25 $ l’heure et plus, pour les gens d’ici.

Sur place, la vice-présidente de l’entreprise le contredit. Près de 20 postes sont offerts à ce salaire, mais personne ne postule. L’immigration aiderait à les pourvoir, dit-elle…

À de nombreuses reprises, des économistes ont relativisé l’apport de l’immigration pour combler les besoins de main-d’œuvre et freiner le vieillissement de la population.

Les solutions sont variées : moderniser l’équipement pour hausser la productivité, inciter les gens à l’âge de la retraite à rester plus longtemps au travail, intégrer les personnes judiciarisées ou en situation de handicap, former et requalifier les employés.

Sans être un remède miracle, l’immigration peut aider. Mais à condition de sélectionner des candidats répondant aux besoins du marché du travail, de reconnaître leurs diplômes, de les franciser et d’en convaincre davantage de s’installer en région.

Le comment compte ainsi au moins autant que le combien.

Ce qui nous ramène à la différence entre caquistes et libéraux.

Voici le nombre d’immigrants que Québec a accueillis et qu’il prévoit d’accueillir.

Vous voyez un choc de vision ? Moi non plus.

Il n’y a eu que l’anomalie de l’année 2019. Comme ils l’avaient promis, les caquistes ont baissé l’immigration pour en « prendre moins, mais en prendre soin ». Cela relevait du marketing pour les électeurs réfractaires à l’immigration. Rien de très réfléchi ou de très noble, certes. Mais les caquistes sont depuis passés à autre chose.

La chute des admissions en 2020 s’explique par la pandémie et elle sera compensée en traitant en 2021 et en 2022 l’essentiel des dossiers retardés.

Le débat sur les seuils doit aussi être relativisé d’une autre façon. Les chiffres du tableau parlent des admissions. Or, ce qui compte, ce sont les immigrants qui restent. Et selon le Ministère, près d’un immigrant sur cinq finit par quitter le Québec pour se rendre ailleurs au Canada ou dans le monde. Ça aussi, on en parle peu.

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M. Legault dit ne pas vouloir d’immigrants qui gagnent moins que le revenu moyen, car cela menace son objectif de rattraper le PIB par habitant de l’Ontario. Comme si la pandémie n’avait pas montré la contribution de ceux qui nettoient les hôpitaux ou soignent les aînés.

Ce discours est réducteur, mais c’est surtout un discours. Les gestes disent autre chose.

Vrai, Québec a été trop sévère avec les demandeurs d’asile ayant combattu la COVID-19 dans notre système de santé. Mais pour le reste, la souplesse augmente.

Le gouvernement caquiste a lancé un programme pilote pour faciliter l’immigration permanente de candidats formés dans les technologies de l’information ainsi que dans deux métiers modestement rémunérés : les employés en transformation alimentaire et les préposés aux bénéficiaires. Depuis le début du printemps, une voie rapide a été créée pour les inciter à venir aider le Québec.

Et les caquistes misent aussi sur les travailleurs temporaires. Pour avoir un portrait complet de l’immigration, il faudrait ajouter cette question à celle des seuils.

Or, ces travailleurs de passage sont encore plus nombreux aujourd’hui que sous les libéraux. Difficile toutefois de savoir si cela résulte d’un choix politique ou de l’évolution du marché du travail.

Ces programmes sont gérés avec le fédéral. Leur bureaucratie étouffe les employeurs. Les caquistes voudraient les assouplir de trois façons. D’abord, en permettant qu’un maximum de 20 %, et non 10 %, des employés d’une entreprise en soient issus.

Ensuite, en élargissant le nombre de métiers admissibles à ce programme, en y ajoutant, par exemple, celui de boulanger.

Enfin, en élargissant aussi le nombre de métiers pour lesquels les employeurs n’ont pas besoin de déposer un long dossier afin de justifier le recours à ces travailleurs.

Le recours à l’immigration temporaire n’est pas que positif. Les besoins des employeurs ne sont pas comblés à long terme, les employés sont vulnérables. Leur séjour est conditionnel à leur emploi, ce qui rend leur pouvoir de négociation quasi nul.

C’est de tout cela qu’on devrait parler quand il est question d’immigration et de main-d’œuvre.

Comparativement à d’autres États, le Québec accueille beaucoup d’immigrants, et il est légitime d’en débattre. Encore faut-il le faire avec les bons chiffres et avec l’intention d’améliorer notre modèle. Avec des arguments qui vont au-delà du tapage partisan.