Cette semaine, quand j’ai lu le courriel qui me signalait l’histoire de Yoan que j’ai racontée dimanche, je savais que c’était l’une de ces histoires lumineuses qui vous feraient triper. Je le savais parce que je tripais en en lisant le résumé…

Il faut les raconter, ces histoires-là. Ces histoires qui ne sont pas des « enjeux », qui ne dénoncent à peu près rien, qui ne relèvent d’aucun ministère. Des histoires qui racontent la vie. Scoop : il y a de la vie loin des manchettes.

Je pensais à tout ça en vous lisant, dimanche matin. J’aime vous lire. Mais vous m’écrivez moins, depuis la pandémie. Enfin, « moins », je veux dire par là que vous m’envoyez moins de cartes postales du pays de vos vies, qui transforment ma messagerie en coffre au trésor. Depuis un an, je reçois moins de cartes postales du pays de vos vies et plus de coups de gueule.

L’autre jour, mon estimé patron, M. Bégin, m’a signalé que, selon ses calculs, je faisais en chronique « moins d’histoires » et plus de commentaires, plus de coups de gueule, justement. Les boss aiment quand je fais des histoires. Moi aussi, remarquez. Ma réponse : « Les gens ne m’en envoient plus autant qu’avant, des histoires, Jeff… »

Je ne suis que le reflet de la mauvaise humeur du monde, patron.

Moins on m’envoie d’histoires, moins je trouve de perles dans le coffre au trésor.

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Pendant que je faisais les vérifications sur l’histoire de Yoan, je savais qu’elle s’écrirait toute seule, cette fabuleuse histoire de vignerons solidaires.

Il y a des histoires qui s’écrivent d’elles-mêmes : je m’assieds, j’ouvre l’ordi, je tape, ça coule de source à travers mes doigts, jusque sur l’écran, comme l’eau d’érable au printemps qui arrive dans les chaudières.

Des fois, ça me prend plus de temps. Alors, je laisse l’histoire mariner. Neuf fois sur dix, la marinade attendrit la matière. J’écris dans ma tête, sans le savoir. Et ça sort. Mais des fois, ça ne marche pas. C’est rare. Résultat : j’abandonne.

Mais je peux attendre longtemps, quand même, une semaine, un mois, deux mois…

Deux ans, même.

J’ai une histoire qui marine depuis deux ans, pas de farces. Ce n’est pas une belle histoire, cependant. C’est une histoire horrible. Elle est d’une laideur pas possible. Ce n’est pas facile de haïr une histoire qu’on doit écrire. Je vais la raconter, prochainement. C’est le genre d’histoire qui se lit par un week-end de pluie, elle ne contient pas de soleil, pas de fin heureuse.

Les belles histoires, comme celle de dimanche sur Yoan, s’écrivent d’elles-mêmes, je trouve.

Les laides, c’est différent. Faut forcer.

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Il y a un tout petit bout de l’histoire de Yoan que j’ai laissé de côté, dimanche, parce que ce n’était pas le moment. Je parle du casque. Yoan n’en portait pas lors de sa chute en long board. Avec un casque, il aurait probablement eu un sacré mal de tête, c’est tout.

Donc, quand Yoan s’est réveillé à l’hôpital, la première chose qu’il a vue, c’est un poster du gouvernement qui rappelle… l’importance de porter un casque ! Sur l’affiche, un ado blessé qui dit : « Je pensais que j’aurais l’air fou avec un casque… »

Mon fils commence à faire du BIXI. Il a à peu près l’âge de Yoan. J’ai pensé à l’héritier tout au long de la gestation de la chronique sur Yoan. Évidemment, j’ai évoqué avec lui l’importance du casque…

Et j’ai bien lu dans ses yeux son incompréhension, comme si je lui suggérais de porter un sombrero pour le cours de maths. Sans dire non, il a dit non. J’insiste encore, doucement. J’angoisse secrètement…

Perso, je porte toujours un casque à vélo. Mais je suis vieux, on devient moins niaiseux, vieux (un peu moins). Le casque protège mon seul outil. Je ne peux pas oublier la façon d’accorder des participes passés, je ne peux pas réapprendre à faire couler la sève qui fait des chroniques, je ne peux pas perdre la fraction de seconde qui me fait poser une question à laquelle je n’avais pas pensé, deux secondes avant, en ondes…

Jeune, à Laval, j’étais toujours sur mon dix vitesses. L’été, à 14, 15, 16 ans, j’habitais chez ma mère, à Chomedey. Ma vie était à Fabreville, le quartier de mon père. Je ne sais pas combien de fois je me suis fait frôler par des chars sur le boulevard Labelle, matin et soir. Je m’étonne, à ce jour, de ne pas être mort sur le boulevard Labelle, entre la rue Edgar et la 440…

Un casque ? C’était pas à la mode, disons. Personne n’en portait. Le débat commençait à peine. Et si ma mère m’avait demandé d’en porter un, je lui aurais dit, c’est sûr, parce que c’est pas cool, un casque, ado, ça décoiffe, t’as l’air fou : « Veux-tu que je porte un sombrero pour aller au cours de maths, tant qu’à faire ? »

Des fois, je pense traîner mon fils et tous ses amis à la shop de vélo pour leur acheter un casque. Il y en a une belle variété, quand même, des affaires exotiques : des casques jaune fluo, à motif de melon d’eau ou de boule de billard, etc.

Combien ça coûterait, 10, 12 casques ? M’en sacre. Moins cher que ce que je donnerais pour en sortir un – dont le mien – du coma, après un accident.

Mais bon, je sais aussi que ça ne servirait à rien, vous savez comment sont les ados : une semaine après, ils les auraient déjà perdus, leurs casques…

J’ai toujours peur que l’héritier prenne une débarque à BIXI. J’ai pensé à ça chaque seconde que je préparais la chronique sur Yoan. Alors j’écris des chroniques-sombrero pour noyer l’angoisse.