Simon Jolin-Barrette et François Legault peuvent dormir tranquilles. Ils n’apparaîtront sans doute pas dans le prochain Bye bye en militaires de la Gestapo débarquant dans des boutiques de Montréal pour faire respecter l’usage du français.

La réforme tant attendue de la loi sur la langue française est costaude, comme on nous l’avait promis, mais elle est surtout pondérée, équilibrée et raisonnable. Trop même. Ce terme a d’ailleurs été très utilisé lors du point de presse qui a suivi la présentation de ce fameux projet de loi 96.

Formée de plusieurs tentacules, dont un qui se rend jusqu’à la Charte canadienne, cette loi touche un très grand nombre de secteurs (éducation, administration, affaires, justice, monde municipal).

J’ai pris connaissance de ce projet dont on découvrira sans doute certaines subtilités au cours des prochaines semaines en me demandant constamment ce que cette loi risque de changer dans notre vie de tous les jours. C’est là qu’on se rend compte que l’effet sera, dans certains cas, minime.

Car si ce projet a de grandes ambitions, il fait parfois dans le symbolique.

Si on prend l’exemple des commerces, la loi 96 permettra à des citoyens qui se font servir en anglais, alors qu’ils ne le souhaitent pas, de déposer une plainte auprès de l’Office québécois de la langue française. Des employés prendront ensuite contact avec les propriétaires pour les « accompagner » dans un processus de francisation.

Donc, rien de coercitif. Sauf si vous engagez personnellement une poursuite contre le commerçant.

Du côté des municipalités, on dit aux villes bilingues que si le seuil d’anglophones est en deçà de 50 %, elles vont perdre ce statut. Mais on dit aussi aux élus que si dans les 120 jours suivant l’application de la loi ils adoptent une motion afin de se soustraire à cette mesure, leur ville conservera son statut de ville bilingue.

Combien, pensez-vous, de municipalités québécoises qui ont autour de 10 %, 20 % ou 30 % d’anglophones vont se prévaloir de ce passe-droit ?

Sur la question des cégeps anglophones, alors que plusieurs s’attendaient à des mesures sévères, on se contente de geler le nombre de places que l’on retrouve actuellement et qui représente 17,5 % pour l’ensemble des institutions collégiales.

Bref, c’est le statu quo.

Est-ce que ce projet de loi a été adouci en cours de route ? Est-ce qu’on s’est dit qu’avec la pandémie, ce n’était pas le moment de faire du Québec une cible de choix pour les autres provinces ? Je me pose ces questions.

Je me souviens d’un entretien avec Simon Jolin-Barrette en octobre dernier ; il m’avait alors franchement donné l’impression qu’il allait débarquer avec un plan révolutionnaire et décapant.

Est-ce que les mesures de cette loi contribueront vraiment à freiner le déclin de la langue française, particulièrement à Montréal ? J’en doute.

Surtout, la question qui m’habite est : est-ce que cette vaste opération va donner aux anglophones et aux allophones le goût du français ?

Mon collègue Hugo Pilon-Larose a abordé un sujet fort pertinent lors de la conférence de presse. Il a voulu savoir comment on entendait « vendre » cette réforme aux jeunes, qu’ils soient francophones, anglophones ou allophones.

Comment faire comprendre à la jeune génération que la protection du français n’est pas un « combat folklorique » ?

François Legault a répondu qu’il faut être prudent avant de mettre tous les jeunes dans le même panier. Sans nous dire comment il entendait s’y prendre, il a ajouté que les jeunes doivent être conscients de la « vulnérabilité » de la langue française.

En fait, le nerf de la guerre est là. À quoi bon mettre des mois à décaper une loi comme celle-là si, au bout du compte, il n’y a personne pour la porter et croire en sa force et en son utilité ?

À défaut d’être parfait et d’avoir une rigidité que j’aurais souhaité voir davantage, ce projet de loi souligne à grands traits qu’une langue, fondement même de la culture d’un peuple, est sérieusement en péril. Il est grand temps qu’on vienne à son secours.

Il est grand temps que l’on fasse comprendre à l’ensemble des Québécois qu’elle n’est pas seulement un apparat qu’on utilise pour faire plaisir aux nationalistes fatigants et chialeux.

Non loin de chez moi, il y a une école primaire. Les élèves sont de diverses origines. C’est beau à voir. Toute la journée, les enfants apprennent à lire et à écrire en français.

Mais quand je passe dans ce coin, vers 15 h 30, au moment où les parents viennent cueillir leur marmaille, que se passe-t-il ? Très majoritairement, parents et enfants se mettent à parler en anglais ou dans la langue d’origine qui est utilisée à la maison.

François Legault a dit souhaiter que ce projet de loi rassemble les Québécois. « On a besoin de s’unir autour de notre langue commune. » Il a aussi rappelé que notre histoire est faite de plusieurs générations qui se sont battues pour protéger « cette nation unique ».

Cela n’apparaît pas dans le projet de loi. Mais ça demeure l’essence même de ce projet.