(Ottawa ) Pierre Poilievre a été élu triomphalement à la barre du Parti conservateur il y a plus de six mois. Son parti détient une légère avance sur les libéraux de Justin Trudeau dans les sondages depuis quelques mois.

Une soif de changement est palpable dans certaines régions du pays.

Ce contexte politique plutôt favorable devrait permettre au chef conservateur, qui dirige l’opposition officielle à la Chambre des communes, d’obtenir de multiples cartons d’invitation de la part des premiers ministres des provinces. Or, les Doug Ford, François Legault, Tim Houston et compagnie sont loin de faire des pieds et des mains pour obtenir une rencontre formelle avec celui qui est considéré comme le premier ministre en attente.

Résultat : Pierre Poilievre compte peu d’alliés sur la scène provinciale qui pourraient lui donner un coup de pouce durant la prochaine campagne électorale, qui aura lieu au plus tard à l’automne 2025 si l’entente conclue entre le Nouveau Parti démocratique (NPD) et le gouvernement Trudeau tient le coup jusque-là. Et cela inclut des leaders provinciaux qui sont de la mouvance conservatrice.

« Pierre Poilievre ne cherche pas d’alliés. Il cherche des électeurs », explique à La Presse Fred DeLorey, ancien proche collaborateur de Stephen Harper et ancien directeur de la campagne nationale des conservateurs sous Erin O’Toole au dernier scrutin fédéral.

« Il a une seule chose en tête. Il connaît sa base. Il veut galvaniser la base conservatrice. Et plusieurs des premiers ministres, même ceux qui sont conservateurs, ne voient pas les choses de la même façon. François Legault peut être décrit comme un conservateur pragmatique. Doug Ford est du même acabit, tout comme Tim Houston. Ce sont tous des conservateurs pragmatiques. Ce sont des conservateurs très différents de Pierre Poilievre », ajoute-t-il.

Le mois dernier, le Toronto Star rapportait que les relations entre les conservateurs de Pierre Poilievre et ceux de Doug Ford en Ontario sont loin d’être au beau fixe. D’autant que Pierre Poilievre a vertement dénoncé sur les réseaux sociaux l’investissement de 13 milliards sur 10 ans du gouvernement Trudeau pour convaincre Volkswagen d’installer sa méga-usine de fabrication de batteries pour véhicules électriques à St. Thomas. Le gouvernement Ford a aussi mis 500 millions sur la table pour concrétiser le projet.

« Pierre n’a jamais été dans les affaires. Il n’a aucune expérience de la négociation d’une telle entente et il ne comprend pas comment cela fonctionne », a déclaré un conservateur ontarien qui s’est confié au quotidien torontois.

Ford, Trudeau et Legault

Depuis trois ans, les relations entre Doug Ford et Justin Trudeau sont des plus cordiales, s’apparentant à une bromance. Lors d’une conférence de presse conjointe à St. Thomas, M. Trudeau a appelé son homologue provincial par son prénom, et Doug Ford lui a rendu la pareille. Les deux hommes se sont félicités des relations fructueuses entre les deux capitales.

PHOTO TARA WALTON, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford (au centre), et le premier ministre du Canada, Justin Trudeau (à droite), lors d’une annonce à St. Thomas concernant une nouvelle méga-usine de fabrication de batteries de Volkswagen, le 21 avril

Ils ont d’ailleurs intérêt à bien s’entendre. Car les électeurs qui appuient le Parti libéral à Ottawa ont aussi jeté leur dévolu sur le Parti progressiste-conservateur de l’Ontario lors des deux dernières élections provinciales. À Toronto, on ne trouve pas opportun d’organiser une rencontre formelle entre Doug Ford et Pierre Poilievre.

À Québec, François Legault n’a toujours pas eu de tête-à-tête avec le chef conservateur. Pourtant, le premier ministre du Québec avait rapidement rencontré l’ancien chef Erin O’Toole environ un mois après sa victoire dans la course au leadership en août 2020.

« Il a été convenu entre l’équipe de M. Poilievre et la nôtre il y a plusieurs mois qu’il y aurait une rencontre. Mais on n’a pas encore confirmé de date officielle », a indiqué l’attaché de presse de M. Legault, Ewan Sauves, dans un courriel à La Presse.

Après quelques mois de tensions marqués par un appel de François Legault exhortant les Québécois à voter pour le Parti conservateur, moins centralisateur selon lui que le Parti libéral et le NPD, au dernier scrutin fédéral, on a assisté à un rapprochement entre Québec et Ottawa depuis six mois.

Des dossiers litigieux tels que la fermeture du chemin Roxham, l’intégration du chantier maritime Davie à la Stratégie nationale de construction navale et des amendements au projet de loi C-13 visant à moderniser la Loi sur les langues officielles réclamés par Québec ont été réglés, ce qui a ramené la bonne entente entre François Legault et Justin Trudeau.

Programme national de garderies

En Alberta, des élections provinciales auront lieu le 29 mai. La bataille s’annonce serrée entre les conservateurs de Danielle Smith et les néo-démocrates de Rachel Notley. Une victoire du NPD en Alberta, province considérée comme un bastion du Parti conservateur au pays, pourrait donner un nouvel allié au gouvernement Trudeau dans la lutte contre les changements climatiques.

Fait intéressant, Danielle Smith fait actuellement campagne en défendant le programme national de garderies mis sur pied par le gouvernement Trudeau. Ce programme doit permettre d’offrir des services de garde à un coût de 10 $ en moyenne par jour d’ici 2025 grâce à des investissements colossaux de 30 milliards sur cinq ans. En Alberta, ce programme entraînerait des économies annuelles de 8610 $ par enfant pour les familles.

S’il prend le pouvoir, Pierre Poilievre a fait savoir qu’il comptait mettre la hache dans ce programme même s’il est fort populaire dans les provinces, qui sont majoritairement dirigées par des gouvernements conservateurs à l’heure actuelle, à l’exception de la Colombie-Britannique (NPD) et de Terre-Neuve-et-Labrador (libéral).

À ce sujet, la ministre de la Famille, des Enfants, et du Développement social, Karina Gould, prédit que Pierre Poilievre va se heurter à un mur s’il maintient sa promesse d’abolir ce programme.

« J’adore voir des premiers ministres conservateurs faire campagne en faveur des garderies abordables. C’est super parce que ces mêmes premiers ministres au départ étaient opposés à ce programme. Ils réalisent aujourd’hui que c’est non seulement un excellent plan social, mais c’est aussi un excellent plan économique », a dit Mme Gould en marge du congrès libéral à Ottawa.

Selon elle, Pierre Poilievre pourrait bien voir une coalition des provinces dénoncer le Parti conservateur aux prochaines élections s’il ne fait pas volte-face dans ce dossier.

« Les provinces vont lui demander pourquoi il ne reconnaît pas la valeur sociale et économique de ce programme, pourquoi il ne veut pas que les femmes aient le choix d’aller travailler ou non, pourquoi il ne veut pas que les familles gardent des centaines de dollars dans leurs poches chaque mois », a-t-elle lancé.