(Ottawa) Un ami fidèle ? Un voisin agréable ? Un partenaire commercial fiable ? Un allié militaire ? Tout ça à la fois ?

Quel est le véritable statut du Canada aux yeux des États-Unis, de plus en plus obsédés par l’idée de prendre les moyens qui s’imposent pour conserver leur supériorité économique, technologique et militaire face à un rival autoritaire, la Chine, en pleine ascension ?

Alors que le contexte géopolitique continue d’être bouleversé en raison de la guerre que mène la Russie en Ukraine, il incombe au Canada d’établir le statut auquel il aspire auprès des décideurs à Washington. Dans la capitale américaine, il est déjà très difficile en temps normal pour toute délégation canadienne de retenir l’attention des principaux membres de l’administration au pouvoir ou des membres du Congrès.

« Nous n’existons pas pour eux parce que nous ne sommes pas une menace. C’est pour cette raison que c’est difficile d’avoir leur attention », a relevé vendredi l’ancien ambassadeur du Canada à Washington, Raymond Chrétien, sur les ondes de RDI, alors qu’il commentait la visite du président.

Un facteur pèsera lourd dans la balance : l’importance que le Canada accordera à ses dépenses en matière de défense et de sécurité au cours des prochaines années.

La priorité accordée par le président des États-Unis, Joe Biden, aux investissements nécessaires pour la modernisation du NORAD durant sa visite officielle à Ottawa en est l’illustration. L’incident du ballon-espion chinois, qui a été abattu par l’armée américaine au-dessus de l’océan Atlantique le mois dernier après avoir survolé une partie du territoire du Canada et des États-Unis, a mis en lumière l’importance de renforcer la défense du continent nord-américain.

En prévision de cette visite, l’ambassadeur des États-Unis en poste dans la capitale fédérale, David Cohen, a multiplié les allusions aux dépenses militaires du Canada durant les entrevues qu’il a accordées aux grands réseaux de télévision anglophones. Ses propos ne laissaient aucune place à l’équivoque.

« Il n’y a pas de doute que la défense vient en tête de liste des priorités des États-Unis, et je crois que c’est aussi le cas pour le Canada. Le dernier mois a démontré que nous faisons face à des menaces du XXIe siècle. Qui aurait cru qu’un ballon provoquerait un tel branle-bas de combat, ce ballon qui a survolé le Canada, les États-Unis et l’Arctique ? Nous sommes confrontés à des menaces du XXIe siècle qui exigent des solutions du XXIe siècle et un financement du XXIe siècle », a laissé tomber l’ambassadeur dans une entrevue au réseau CTV dimanche dernier.

PHOTO FOURNIE PAR US AIR FORCE, ARCHIVES REUTERS

La base américaine de surveillance radar du NORAD de Barrow, en Alaska. Malgré le calendrier d’investissements annoncés vendredi par Ottawa, le gouvernement américain presse le Canada de fournir un effort financier plus costaud et plus rapide pour la modernisation du NORAD.

Le Canada s’est déjà engagé à investir 4,9 milliards de dollars sur six ans dans la modernisation du NORAD. L’administration Biden souhaite un effort financier plus costaud et plus rapide. Dans un communiqué conjoint publié vendredi, le Canada a cherché à démontrer qu’il avait entendu ce message en détaillant un calendrier très précis de ses investissements pour moderniser le NORAD. Il a aussi dressé la liste des investissements qu’il comptait faire pour accueillir sa nouvelle flotte de F-35, avions de chasse développés par la société américaine Lockheed Martin.

Dans son discours au Parlement, vendredi, Joe Biden est devenu le énième président américain à exhorter le Canada à en faire plus pour renforcer l’OTAN. En tant que membre de cette alliance militaire, chaque pays s’engage à consacrer au moins 2 % de son PIB aux dépenses militaires. L’an dernier, le Canada a investi l’équivalent de 1,27 % de son PIB dans la défense, selon les calculs de l’OTAN.

La dernière fois que le Canada a consacré 2 % ou plus de son PIB à la défense remonte aux années 1980, sous l’ancien gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney. La fin de la guerre froide et l’éclatement de l’URSS au début des années 1990 ont fait en sorte que les coupes dans les dépenses militaires étaient à la mode durant la lutte contre le déficit menée par le gouvernement Chrétien. Des investissements ont été annulés ou retardés.

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Un avion de chasse F-35 Lightning II durant un ravitaillement en vol. Le Canada a communiqué, vendredi, la liste des investissements pour accueillir sa nouvelle flotte de F-35.

En 2003, il y a 20 ans, John Manley, ancien ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Chrétien, avait exprimé tout haut l’embarras que cela causait parfois au Canada auprès de ses principaux alliés sur la scène internationale. « Nous ne pouvons pas continuer d’aller constamment aux toilettes quand la facture arrive », avait-il affirmé pour illustrer l’habitude du Canada de compter sans l’avouer sur la puissance militaire américaine pour assurer sa sécurité.

Au cours des dernières années, républicains et démocrates ont montré des signes d’impatience envers le Canada au sujet de l’ampleur de ses investissements militaires et de ses politiques de sécurité.

À Washington, on s’est longtemps inquiété de la lenteur du gouvernement Trudeau à interdire au géant chinois des télécommunications Huawei de participer au déploiement de la technologie 5G sur le territoire canadien. Une délégation américaine est même venue livrer ce message de vive voix aux élus à Ottawa en 2019.

Cette interdiction est finalement tombée en mai 2022, après trois ans de tergiversations – et plusieurs années après que les États-Unis, l’Australie, la Grande-Bretagne et la Nouvelle-Zélande, les autres membres de l’alliance des « Five Eyes », eurent décrété l’un après l’autre que Huawei représentait une menace à leur sécurité nationale.

Cette impatience américaine a aussi pris la forme d’une nouvelle alliance militaire à trois baptisée AUKUS, qui comprend les États-Unis, la Grande-Bretagne et l’Australie… mais pas le Canada.

Il y a deux semaines, les leaders de ces trois pays se sont retrouvés à San Diego pour lancer un programme de sous-marins à propulsion nucléaire dont l’objectif est de tenir tête à la Chine dans le Pacifique.

Le premier ministre australien, Anthony Albanese, a alors souligné que son pays faisait « le plus grand investissement de [son] histoire » dans le cadre de ce partenariat, et que l’Australie était, après le Royaume-Uni, le deuxième pays à avoir accès aux secrets nucléaires de la marine américaine.

« À Washington aujourd’hui, on ne parle pas du Canada. Mais on parle beaucoup de l’Australie parce que ce pays investit dans le militaire », a souligné récemment un homme d’affaires influent qui se rend dans la capitale américaine toutes les deux semaines.