En quoi le tueur à gages Frédérick Silva a-t-il intérêt à se placer sous la protection de la police et, éventuellement, à retourner sa veste contre ses anciens employeurs et complices, alors qu’il est déjà condamné à la prison à perpétuité sans admissibilité à une libération conditionnelle avant 25 ans ?

Des lecteurs ont posé la question à La Presse depuis que cette nouvelle, qui ébranle le crime organisé montréalais et québécois, est tombée jeudi.

PHOTO FOURNIE PAR LE SPVM

Frédérick Silva

Silva n’est pas le premier tueur à gages de l’histoire criminelle du Québec à retourner sa veste. Yves « Apache » Trudeau, Réal Simard, Donald Lavoie, Gérald Gallant, Stéphane « Godasse » Gagné l’ont fait avant lui.

La plupart ont un point en commun : ils se sont sentis un jour abandonnés ou menacés par leur employeur. C’est peut-être le cas de Frédérick Silva, même si cela reste à confirmer.

Au cours des derniers mois, deux de ses proches ont été assassinés. L’un d’eux, croit la police, avait caché Silva durant sa longue cavale de deux ans et aurait même constitué un lien entre le tueur à gages et les donneurs d’ouvrage.

Silva lui-même a été avisé en prison que sa vie était en danger. L’homme a vraisemblablement jugé que « sa veine de protection » était tarie, et il a fait ce choix d’abord pour sa sécurité et, probablement, celle de ses proches.

Le délateur Stéphane Gagné, dont le témoignage a envoyé Maurice Boucher au pénitencier jusqu’à la fin de ses jours, s’est adressé à la Cour supérieure pour obtenir une libération conditionnelle avant 25 ans, fort de lettres d’appui de policiers et d’autres acteurs du système judiciaire.

Mais cette disposition dont pouvaient bénéficier les individus qui avaient commis des meurtres avant 2011 n’existe plus.

En échange de sa collaboration, Silva pourrait toutefois espérer accroître ses chances d’obtenir sa libération conditionnelle à compter de 25 ans, car la libération n’est jamais automatique et le délinquant doit démontrer qu’il la mérite.

Plus rien à perdre ?

Extrait du pénitencier en hélicoptère, escorté par le Groupe tactique d’intervention jeudi, Silva est probablement détenu dans un endroit secret contrôlé par la police.

S’il collabore, il devrait y passer des mois, à d’abord raconter sa vie avant d’entrer dans le vif du sujet. Durant ce long séjour dans cet endroit secret, il pourrait profiter de certains privilèges, entre autres celui de voir davantage les membres de sa famille.

S’il finit par signer une entente avec l’État, il pourrait bénéficier de certains autres avantages qui viendront un peu adoucir sa longue peine.

Silva, qui a 42 ans, en aura 67 lorsqu’il sera admissible à une libération conditionnelle. Peut-être a-t-il simplement conclu qu’il n’avait plus rien à perdre.

« Hautement impliqué »

Trudeau, Simard, Lavoie, Gallant et Gagné travaillaient pour un seul employeur ou une seule organisation.

Mais Silva est un produit du crime organisé contemporain, un milieu qui a bien changé depuis l’époque des tueurs nommés ci-dessus.

Aujourd’hui, les groupes criminels ne fonctionnent plus en silo. Ils travaillent ensemble, s’échangent des services et des contacts et font appel aux mêmes intermédiaires et contractuels.

Les éventuelles révélations de Silva pourraient donc faire mal à plusieurs organisations et individus.

On ne sait pas jusqu’à quel point Silva connaît les individus ou organisations qui ont ordonné les contrats qu’il a exécutés. On sait toutefois que le tueur à gages avait des complices, qu’il n’agissait pas seul ou que ceux-ci n’agissaient pas toujours en solo. En outre, Frédérick Silva possède peut-être beaucoup d’informations sur des contrats ou des situations auxquels il n’a pas participé directement.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Guy Dion et Marie-Josée Viau, à leur sortie du Centre de services judiciaires Gouin, en août 2021

Aux procès de Marie-Josée Viau, de Guy Dion et de Dominico Scarfo, accusés respectivement d’avoir tué les frères Falduto et les mafieux Lorenzo Giordano et Rocco Sollecito en 2016, l’ancien tueur à gages de la mafia devenu agent civil d’information pour la police – et dont on doit taire le nom – a longuement témoigné.

Il a bien sûr raconté des détails sur ces crimes, mais il en savait visiblement beaucoup sur bien d’autres situations touchant le crime organisé montréalais.

Ajoutons que jeudi, lorsque les inspecteurs-chefs David Bertrand du SPVM et Benoit Dubé de la SQ ont annoncé que Silva s’était placé sous la protection de la police, ils ont pris soin de préciser que ce développement touchait « toutes les branches du crime organisé » et que Silva était un individu « hautement impliqué dans le crime organisé montréalais, provincial et même interprovincial depuis plusieurs années ».

Il faudra toutefois des mois et probablement plus d’un an avant de connaître les résultats de cette collaboration.

Un délai durant lequel plusieurs membres du crime organisé se feront assurément du mauvais sang.

Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.ca ou écrivez à l’adresse postale de La Presse.