(Ottawa ) Le premier ministre Justin Trudeau affirme avoir appris une importante leçon durant la pandémie de COVID-19. Il est tout à fait possible de contraindre la machine gouvernementale à appuyer sur l’accélérateur en temps de crise pour mettre rapidement en œuvre des programmes d’aide.

M. Trudeau a fait cette confidence durant une entrevue éditoriale accordée à La Presse quelques jours avant que les électeurs ne se rendent aux urnes, le 20 septembre. Il annonçait alors sa volonté d’appliquer la même vitesse d’exécution aux dossiers chers à son gouvernement.

Il disait avoir constaté « jusqu’à quel point, dans une situation de crise, on peut accélérer la machine bureaucratique, on peut livrer de façon extraordinaire et urgente pour les gens dans une crise ».

Depuis deux semaines, Justin Trudeau semble avoir totalement oublié cette heureuse leçon. Il y a pourtant une crise au pays. Une crise qui frise l’insurrection, selon l’ex-gouverneur de la Banque du Canada Mark Carney.

La ville d’Ottawa est assiégée par un groupe de manifestants qui ont stationné près de 400 camions lourds au centre-ville, devant la colline du Parlement. Ces manifestants, parmi lesquels se trouve un groupuscule extrémiste qui exige le remplacement du gouvernement Trudeau par un comité composé de la gouverneure générale, des partis de l’opposition et de leurs leaders, empoisonnent la vie des résidants de la capitale fédérale.

Complètement dépassés par les évènements, le maire d’Ottawa, Jim Watson, et le chef de la police de la ville, Peter Sloly, réclament depuis des jours de l’aide d’urgence du gouvernement fédéral et du gouvernement de l’Ontario. La Gendarmerie royale du Canada a déployé des agents supplémentaires. La Police provinciale de l’Ontario en a fait autant. Mais devant le refus des manifestants de plier bagage, le maire Watson a décrété l’état d’urgence dimanche. M. Sloly maintient pour sa part qu’il n’y a pas de solution policière à ce siège.

La nouvelle fait le tour de la planète. Ottawa, capitale d’un pays du G7, sombre dans le désordre et l’anarchie. Les autorités municipales, provinciales et fédérales ont perdu le contrôle d’une partie du territoire de la capitale. Les corps policiers sont impuissants à y rétablir l’ordre.

Leur impotence est telle qu’il aura fallu qu’une femme de 21 ans d’Ottawa, Zexi Li, retienne les services d’un avocat pour obtenir une injonction d’un tribunal pour faire cesser le concert de klaxons des camions à toute heure de la journée au centre-ville. L’injonction lui a été accordée lundi. « J’ai vraiment senti que je n’avais pas le choix, que je devais faire quelque chose », a lancé la jeune femme dans une entrevue accordée au réseau CTV mardi.

Accusés de briller par leur absence durant la crise, les ministres du gouvernement Trudeau ont finalement fait une première annonce lundi : la création d’un comité rassemblant des représentants des trois ordres de gouvernement. L’annonce a été tournée en ridicule, d’autant que le gouvernement Ford n’a participé à aucune des trois rencontres tenues jusqu’ici.

L’impuissance à rétablir « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » à Ottawa a inspiré d’autres manifestants. Depuis lundi, le pont Ambassador, qui relie Windsor et Detroit et constitue le lien commercial le plus important entre le Canada et les États-Unis, est bloqué. L’effet a été immédiat. Les principaux constructeurs automobiles ont été contraints de réduire considérablement leur production. Le pont Ambassador fait pourtant partie de la liste des « infrastructures essentielles » dressées par le ministère de la Sécurité publique à Ottawa. L’affaire a eu des échos jusqu’à la Maison-Blanche. La gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, a affirmé que les gouvernements locaux, provinciaux et nationaux devaient « désamorcer le blocus économique ».

Depuis jeudi, un groupe de manifestants sévit à Emerson, poste frontalier entre le Manitoba et le Dakota du Nord. D’autres manifestants font la pluie et le beau temps depuis plus d’une semaine au poste frontalier de Coutts, à la frontière entre l’Alberta et le Montana. À voir la facilité avec laquelle les manifestants arrivent à s’installer à des postes frontaliers, d’autres blocus sont à prévoir ailleurs au pays au cours des prochains jours.

Critiqué pour son rôle effacé depuis le début de l’occupation de la capitale, Justin Trudeau affirme maintenant être en communication constante avec les maires d’Ottawa et de Windsor. Mercredi soir, il s’est entretenu avec le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, qui brille aussi par son absence.

Au passage, Justin Trudeau accuse les conservateurs d’être responsables du chaos. Jeudi, il s’est réjoui de voir que la cheffe intérimaire Candice Bergen avait changé de position en demandant aux manifestants de rentrer chez eux.

Il reste que c’est M. Trudeau qui détient les rênes du pouvoir. Le chef du NPD, Jagmeet Singh, le lui a poliment rappelé jeudi. « M. Trudeau est le premier ministre du Canada, l’un des pays les plus puissants au monde. Mais il n’agit pas. Il ne montre pas de leadership pour régler cette situation », a-t-il pesté avant de l’exhorter durant la période des questions à faire ce qu’il faut pour régler ce « gâchis ».

Mais c’est la députée du Bloc québécois Kristina Michaud qui a le mieux résumé jeudi à la Chambre des communes l’impact de l’inertie généralisée du gouvernement Trudeau

« Le blocus du pont Ambassador, le siège du parlement, les menaces à l’aéroport d’Ottawa, les barrages frontaliers en Alberta et au Manitoba ne sont pas des gestes isolés. Cela ne relève pas d’une ville ou d’une province en particulier. C’est le Canada qui est ciblé. C’est pourquoi c’est le premier ministre du Canada qui doit prendre le leadership. Nous sommes devant une occupation organisée par des spécialistes en tactiques policières et militaires qui vise le gouvernement fédéral. Quand ce gouvernement va-t-il être à la hauteur de la crise qui se déroule sous ses yeux ? »