(Québec) On a rarement vu ça lors du dépôt d’un projet de loi à l’Assemblée nationale.

Il y avait une telle demande pour télécharger la réforme Dubé que le site web de l’Assemblée nationale a planté !

« Un problème de serveur empêche le site Web de l’Assemblée nationale de s’afficher. Veuillez s’il-vous-plaît réessayer plus tard de le consulter. »

Le problème a été corrigé avant qu’on ait à demander à Éric Caire pourquoi « SAAQclic » pas…

C’est dire combien le projet de loi « visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace » était attendu.

Les critiques, elles, ne se sont pas fait attendre. Le ministre de la Santé, Christian Dubé, venait à peine d’ouvrir la bouche pour présenter son projet de loi en conférence de presse que le cellulaire des journalistes vibrait : la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) envoie sa réaction ! L’intention du gouvernement de leur imposer de nouvelles exigences ne passe pas. « Une méthode contre-productive » et « une attitude de confrontation », accuse le syndicat des spécialistes. Il y aura tout un bras de fer.

On l’oublie, mais ce n’est pas la première fois que Christian Dubé affronte la FMSQ.

Lorsqu’il était président du Conseil du trésor au début du premier mandat caquiste, il a conclu avec elle une entente critiquée à bien des égards : le gouvernement n’a pas réduit comme promis la rémunération des médecins spécialistes de 1 milliard de dollars par année. On s’est plutôt engagé à faire des économies de 1,6 milliard en quatre ans par l’entremise de la création d’un Institut de la pertinence des actes médicaux. On a notamment demandé aux médecins spécialistes de ne plus faire d’actes jugés inutiles. Vous avez bien lu.

La présidente de la FMSQ de l’époque, la Dre Diane Francœur, jubilait : « C’est le plus beau jour de ma vie ! », lançait-elle à des collègues dans une rencontre syndicale au Centre des congrès de Québec en décembre 2019 alors que l’encre de l’entente n’était pas encore sèche. C’était une victoire importante pour les spécialistes dans le contexte où la menace du gouvernement de faire des coupes dans la rémunération était grande ; c’était une promesse électorale, après tout !

Christian Dubé est-il prêt à avoir son heure de vérité avec la FMSQ ? Tout en disant avoir une attitude de « collaboration », il a exprimé sa ferme intention de ne pas céder : les médecins devront accepter de nouvelles contraintes. « Le principe, il est très clair, il est dans la loi : ça va prendre des AMP » de la part des spécialistes – comme c’est déjà le cas pour les médecins de famille. Les AMP, ce sont les « activités médicales particulières » qui seront imposées à ces médecins – participer à des gardes à l’hôpital, offrir des heures de travail dans des quarts défavorables, être disponible aux urgences, répondre plus efficacement aux demandes de consultation faites par des médecins de famille, par exemple.

La sortie du Collège des médecins en faveur d’une plus grande « responsabilité sociale » de la communauté médicale afin d’assurer un meilleur accès aux soins partout sur le territoire permet au ministre de croire qu’il aura un allié important dans la bataille à venir.

Le gouvernement brandit le bâton, mais tendra-t-il la carotte – une bonification de la rémunération – pour faire accepter ses nouvelles contraintes ?

Christian Dubé a souligné que l’enveloppe de rémunération des 11 000 médecins spécialistes négociée avec la FMSQ et inscrite au budget – environ 5 milliards de dollars – n’est pas dépensée en entier chaque année pour toutes sortes de raisons. Il y a apparemment de l’argent disponible sur la table…

Christian Dubé vante beaucoup la « gestion de proximité » préconisée dans sa réforme, mais la création de Santé Québec est aussi une opération de centralisation. Un employeur unique et seulement quatre unités d’accréditation syndicale (au lieu d’une centaine). Ça signifie un syndicat pour chacune des quatre catégories d’emploi de l’ensemble du réseau (infirmières, personnel de soutien, personnel administratif et techniciens-professionnels). Allô l’ambiance au front commun des centrales syndicales ! Le gouvernement Legault lui fait une jambette au moment où l’on négocie le renouvellement des conventions collectives.

« Bonjour, chers membres du carcan syndical ! », a ironisé la présidente de la CSN, Caroline Senneville, lorsqu’elle a rejoint d’autres représentants syndicaux venus écouter le ministre Dubé dans un auditorium du complexe G. La période de maraudage à venir provoquera inévitablement une guerre fratricide. On l’a déjà vu sous les gouvernements Charest et Couillard – mine de rien, la CSN a perdu environ 25 000 membres au profit de l’Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) en 2017.

Ce sera l’émoi chez les délégués syndicaux qui se poseront des questions sur leur sort. On anticipe que l’industrie des libérations syndicales sera ébranlée. C’est plus de 1 million d’heures par année dans tout le réseau dont la facture s’élève à 34 millions de dollars.

Personne ne va pleurer la disparition des acronymes horribles que sont CISSS et CIUSSS – mais on n’y échappera pas, car de nouveaux font leur apparition ! Leurs conseils d’administration seront remplacés par des conseils d’établissement où les membres du personnel – aussi bien les infirmières que les médecins, d’ailleurs – n’auront désormais aucun représentant. Idem pour le conseil d’administration de Santé Québec.

Et les « usagers », dans tout ça ? Le Regroupement provincial des comités des usagers s’inquiète que la voix de ceux-ci perde de son importance malgré le discours de Christian Dubé à ce sujet. À suivre.

Les partis de l’opposition accusent le ministre de vouloir se déresponsabiliser avec la création de Santé Québec. Quand on lui a demandé qui, avec sa réforme, allait devoir répondre aux questions sur un problème d’organisation du travail dans un hôpital ou un problème dans l’accès aux soins pour les patients, Christian Dubé a répondu : « Écoutez, si la réponse n’est pas satisfaisante du côté du PDG de Santé Québec, c’est sûr que je vais en entendre parler, soit par vous, soit par quelqu’un d’autre. La première réponse, pour moi, c’est le PDG, qui s’occupe de donner la qualité de services qu’on veut. »

Pour Christian Dubé, le succès de sa réforme pourra être mesuré à partir de son fameux tableau de bord sur la performance du réseau, qui montre notamment l’état des listes d’attente. « Tous nos indicateurs sont clairement indiqués, on est transparents. Prenez-les un par un. »

C’est noté. On saura comment vérifier si le ministre Dubé s’est, à l’image du site web de l’Assemblée nationale, planté.