(Québec) Le gouvernement Legault se contredit en mettant en doute le portrait sur la vétusté des écoles.

Pas plus tard qu’en décembre, il se félicitait d’avoir, grâce à ses propres initiatives, « un portrait plus juste, plus fiable et plus complet de l’état des infrastructures » du réseau scolaire.

Et que dit ce portrait ? Comme le démontre le Plan québécois des infrastructures déposé par Québec mardi, 62 % des écoles primaires et 65 % des écoles secondaires ont un « indice d’état » de D ou E, c’est-à-dire qu’elles sont en mauvais ou très mauvais état. Il y en a plus qu’avant, même si on a augmenté les investissements pour les rénover.

Le gouvernement Legault a raté sa cible de ramener cette proportion à 50 % cette année. Il s’était donné cet objectif au début de son premier mandat.

Lors d’un point de presse mercredi, François Legault a remis en question ce portrait et le processus d’évaluation de l’état des écoles. « J’ai des doutes », a-t-il lancé. Il a demandé au ministre responsable des Infrastructures, Jonatan Julien, d’« évaluer exactement ce que ça veut dire, les fameuses cotes pour les écoles », de revoir la façon de mesurer « la vétusté des écoles ». « Est-ce que c’est une classe qui est vétuste ou toute l’école ? »

PHOTO CHARLES WILLIAM PELLETIER, COLLABORATION SPÉCIALE

Le premier ministre du Québec, François Legault

Il est allé plus loin avec des allégations contre les centres de services scolaires, créés par son gouvernement pour remplacer les commissions scolaires. Il les a soupçonnés de gonfler les besoins afin d’obtenir plus d’argent : « Actuellement, la façon [dont] ça fonctionne, c’est chaque centre de services qui évalue ses écoles. Donc, évidemment, il y a comme un incitatif pour dire : “J’ai besoin d’argent pour mes écoles.” […] J’entends toutes sortes de choses sur comment c’est fait. »

On ne peut revenir sur cette sortie du premier ministre sans rappeler ce qu’il disait en entrevue avec La Presse au début du mois. Il annonçait son intention de se donner plus de pouvoirs dans la gestion du réseau, insatisfait de décisions prises par les centres de services scolaires. « Il y a des choses qui sont faites [par les directeurs généraux] avec l’accord du conseil d’administration qui ne font pas nécessairement notre affaire », affirmait-il.

Le ministre Drainville en ajoute

De son côté, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a dit partager les « questionnements » du premier ministre. Vendredi, La Presse lui a demandé un exemple de malversation, puisque c’est de cela qu’il est question, de la part d’un centre de services scolaire. Il n’a pas voulu répondre. Le ministre a plutôt répété qu’il a visité des écoles dont « l’indice d’état » est E et qu’il n’a pas remarqué de « signes visibles qu’elles étaient en très mauvais état, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de travaux » nécessaires.

« On va valider la méthodologie d’inspection et on verra les résultats », a-t-il ajouté.

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Le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville

Or, dans un rapport signé de sa main et déposé à l’Assemblée nationale le 9 décembre, on peut lire : « Au cours de la dernière année, le parc d’infrastructures scolaires a fait l’objet d’une vaste opération d’inspection tenant notamment compte d’une nouvelle méthodologie plus robuste et uniformisée à travers le réseau scolaire. Cet exercice a permis de brosser un portrait plus juste, plus fiable et plus complet de l’état des infrastructures. »

Le rapport de gestion du ministère de l’Éducation précise qu’« avec le nouveau portrait de l’état des infrastructures scolaires, [il] sera en mesure de mettre de l’avant une stratégie optimale d’investissement afin de s’attaquer à la vétusté physique des bâtiments ». C’est ainsi que le gouvernement a annoncé mardi 14 milliards de dollars en 10 ans pour rénover des écoles ou en reconstruire.

Allez savoir pourquoi le gouvernement donne l’impression dès le lendemain de contester un problème qu’il promet de corriger…

Le déficit de maintien des actifs du parc immobilier scolaire – la facture estimée des travaux pour le remettre en état – est en constante augmentation depuis des années. Il se chiffre maintenant à 7,7 milliards (c’était 3,3 milliards il y a cinq ans). Jusqu’à maintenant, on n’a pas mis assez d’argent année après année en rénovation pour éviter de creuser ce déficit.

Évaluation de l’état des écoles

Décortiquons le processus pour évaluer l’état des écoles. Sous la Coalition avenir Québec, le ministère de l’Éducation a défini un cadre de gestion des infrastructures scolaires qui, comme on peut y lire, « comporte notamment une méthodologie standardisée d’inspection des infrastructures, de priorisation des travaux et d’estimation des coûts de ces travaux ». Ce cadre est conforme au « modèle gouvernemental de gestion des infrastructures » établi par le Conseil du trésor.

Les centres de services scolaires doivent suivre le Guide méthodologique et technique d’inspection des infrastructures. Le Ministère l’a élaboré et a formé des inspecteurs qui peuvent être « une ressource interne ou externe de l’organisme scolaire ».

« La direction générale de chaque organisme scolaire est responsable de la qualité, de l’intégrité et de l’intégralité des données relatives à son parc d’infrastructures », souligne le cadre de gestion du Ministère. Il se réserve le droit de faire des audits pour vérifier la conformité des données – qui sont par ailleurs passées au peigne fin lorsque vient le moment de donner de l’argent pour réaliser les travaux.

Les données d’inspection sont entrées dans un nouveau logiciel, appelé Maximo ou Gestion des infrastructures de l’éducation et de l’enseignement supérieur (GIEES).

Ce nouvel outil, développé par le Ministère encore une fois, remplace un autre système encadrant les inspections qui, au début du premier mandat caquiste, avait fait l’objet de critiques du Vérificateur général. Ce dernier déplorait alors que le parc immobilier scolaire soit « en mauvais état ».

Une fois les données entrées dans GIEES, les coûts des différents travaux pour rénover une école « sont estimés automatiquement selon un coût unitaire modélisé » que le Ministère a élaboré avec une firme professionnelle.

C’est aussi le ministère de Bernard Drainville qui « attribue à chacun des bâtiments du parc immobilier scolaire un indice de vétusté physique », le fameux « indice d’état ». Cet indice a été développé par le Conseil du trésor et s’applique à l’ensemble des infrastructures publiques du Québec, des routes aux hôpitaux.

Une école obtient un D, et est considérée en « mauvais état » selon les critères de Québec, lorsque le coût estimé des travaux pour la maintenir en bon état représente 15 % de la valeur de remplacement du bâtiment ; c’est E lorsqu’il représente 30 % ou plus.

L’épreuve de la réalité

Vendredi, pendant que la libérale Marwah Rizqy lui montrait des photos d’écoles délabrées, Bernard Drainville a fait comme un élève qui reçoit un mauvais bulletin : les notes ne reflètent pas vraiment la réalité, a-t-il plaidé. Il s’est demandé « si on ne pourrait pas avoir une méthode qui, peut-être, va refléter davantage l’état du bâtiment ».

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La députée libérale Marwah Rizqy

Il a ajouté que 400 bâtiments passeraient de la cote D ou E à la cote C, B ou même A « si on retirait du calcul les coûts liés à l’asphaltage de la cour d’école ou du débarcadère [des autobus] ou encore les coûts liés au câblage informatique ». Si c’est le cas, le problème semble se situer davantage dans les outils de son ministère que dans les centres de services scolaires.

Un peu d’histoire pour conclure : toute cette révision de l’évaluation des écoles a commencé sous le gouvernement Couillard. Il accusait les commissions scolaires… d’enjoliver l’état des écoles et de ne pas lui présenter un portrait fidèle ! Dans l’opposition, la Coalition avenir Québec accusait le gouvernement de vouloir cacher la vérité. Le député Jean-François Roberge – ministre de l’Éducation dans le premier mandat caquiste – s’époumonait : les libéraux « sous-estiment encore le délabrement des écoles ». Il y avait alors moins d’écoles jugées en mauvais ou très mauvais état qu’aujourd’hui. Qu’en disait François Legault ? « Nos écoles tombent en ruine ! »