(Québec) « Toucher à l’âge de la retraite… es-tu fou ? »

Quand le ministre des Finances, Eric Girard, s’est rendu à une rencontre fédérale-provinciale récemment, ses homologues lui ont demandé s’il était tombé sur la tête pour proposer de revoir à la hausse l’âge minimal d’admissibilité à la rente du Régime de rentes du Québec (RRQ).

Le sujet est délicat pour tout gouvernement. Il est très controversé en France, alors qu’une réforme des retraites a déclenché une crise majeure.

Au Québec, lors des consultations publiques, de nombreux groupes se sont opposé à la proposition d’Eric Girard de faire passer de 60 à 62 ans l’âge minimal d’admissibilité à la rente du RRQ. Les critiques sont venues du côté syndical comme du côté patronal. Certes, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI) a montré de l’ouverture à ce changement, mais le Conseil du patronat a exprimé son désaccord.

Faute de consensus, Eric Girard a décidé de renoncer à sa proposition. Ce sera officialisé dans son budget ce mardi.

Deux changements seront toutefois apportés. Le gouvernement rendra facultatives les cotisations au RRQ après 65 ans. Et il créera un mécanisme de protection pour que les années de faibles gains de travail après 65 ans ne puissent nuire à la moyenne de gains utilisée pour le calcul de la rente de retraite. La moitié de la marge de manœuvre financière du RRQ servira à essuyer la facture de ces changements évalués à 200 millions de dollars.

Or, sur un autre front, les critiques n’auront pas raison des intentions du gouvernement. Une baisse d’impôts sera au rendez-vous ce mardi. Québec ne retraite pas. Ce serait mal vu de renier sa promesse après avoir tapissé la circonscription de Saint-Henri–Sainte-Anne de pancartes annonçant une « baisse d’impôts dès 2023 » !

Des critiques

De nombreux groupes se sont dits en désaccord avec cette mesure dans le contexte inflationniste actuel, alors que le risque d’une récession plane toujours. C’est le cas de l’Association des économistes du Québec et de l’Institut du Québec, entre autres.

La FCEI et la Chambre de commerce du Montréal métropolitain sont favorables à un allégement du fardeau fiscal des contribuables, mais là encore, le Conseil du patronat est contre. Il juge que le moment est mal choisi, car Québec est toujours en déficit et prévoit un retour à l’équilibre budgétaire en 2027-2028 seulement. Comme le fait le Parti libéral du Québec (PLQ), il reproche au gouvernement de financer sa baisse d’impôts de 1,8 milliard de dollars par année en réduisant les versements au Fonds des générations, qui sert à réduire le poids de la dette.

Les relations sont d’ailleurs tendues entre le gouvernement et le Conseil du patronat depuis quelques mois. À Québec, on constate la multiplication soudaine des sorties de ce lobby contre les plans du gouvernement.

On soupçonne son président, Karl Blackburn, de se positionner pour devenir chef du PLQ. Cet ancien député libéral de Roberval et directeur général du PLQ était l’organisateur en chef de Jean Charest lors de quelques élections.

De passage à Rivière-du-Loup dans le cadre d’une tournée au début du mois, François Legault disait que les dirigeants d’entreprise rencontrés sont pourtant favorables à une réduction du fardeau fiscal des contribuables. Cette intervention de l’État, expliquait-il, vient réduire la pression sur les employeurs pour une hausse des salaires puisque les travailleurs obtiennent ce qu’ils souhaitent au bout du compte : plus d’argent dans leurs poches. Et les contribuables réclament ce bol d’oxygène, ajoutait-il. Contrairement à la réforme proposée du RRQ…

Quand La Presse lui a demandé s’il concrétisera sa promesse intégralement malgré les critiques, le premier ministre a répondu tout de go : « On va respecter notre parole. » Ajoutez à cela que le ministre Girard a intitulé son budget Un Québec engagé pour notamment illustrer que les engagements caquistes sont en train de se réaliser.

Jusqu’à 810 $

François Legault a promis de réduire d’un point de pourcentage les deux premiers paliers d’imposition. Cette baisse du fardeau fiscal profitera donc à tous les contribuables qui paient des impôts.

Selon la plateforme électorale caquiste, le taux d’imposition du premier palier, qui concerne la tranche de revenus allant jusqu’à 46 295 $, passerait de 15 % à 14 %. Pour la tranche de revenus allant de 46 295 $ à 92 580 $, le taux d’imposition serait de 19 % au lieu de 20 %.

Comme l’expliquait la CAQ, le fardeau fiscal d’un travailleur ayant un revenu imposable de 50 000 $ serait allégé de 329 $. Ce serait 810 $ pour une personne gagnant 100 000 $ ou plus.

Le plan de match du gouvernement ne changera pas même si le ciel s’assombrit. Les prévisions économiques sont encore plus pessimistes que lors de la mise à jour budgétaire de l’automne d’Eric Girard.

Le ministre avait alors présenté un plan B en cas de récession tout en disant s’attendre réalistement à une croissance économique modeste de 0,7 % pour 2023. Il faudra mettre à jour le plan B, de toute évidence.

C’est que le PIB réel devrait croître d’à peine 0,3 % ou 0,4 % selon les prévisionnistes de plusieurs banques. Desjardins croit même qu’il y aura une légère décroissance de 0,2 %. « Plusieurs indicateurs signalent déjà une détérioration importante de l’économie malgré la résilience prolongée du marché du travail, estime l’institution financière. La chute du marché immobilier résidentiel se poursuivra et la consommation sera bientôt au ralenti malgré le soutien financier des gouvernements. »

Il faut d’ailleurs s’attendre à ce que le ministre présente la baisse d’impôts comme une façon de stimuler la croissance économique, même si cela peut être perçu comme contre-productif en période inflationniste. L’an dernier, Québec a déjà distribué des chèques de 400 $ à 600 $ en plus de hausser jusqu’à 2000 $ un crédit d’impôt pour les aînés. L’opération a coûté 5 milliards.

Et le financement des services publics dans tout ça ? « On va couvrir les coûts de système », donc il n’y aura « aucune coupure de services en santé et en éducation », disait François Legault à La Presse. Couvrir les coûts de système, c’est payer les augmentations de salaire aux employés de l’État et la hausse du coût des achats liée à l’inflation. A priori, il y a peu de place pour un réinvestissement.

Une nouvelle tradition

Lundi, Eric Girard a rompu avec la tradition d’acheter des souliers neufs à la veille du dépôt du budget. Il a plutôt fait un don à un organisme communautaire à partir de son budget discrétionnaire – 5000 $ au Patro Roc-Amadour (sa collègue Suzanne Roy en a fait autant). « Ce sera une nouvelle tradition », a-t-il révélé. « Plutôt que d’acheter, on va donner. » Autre geste pour les plus démunis : il a annoncé 50 millions en cinq ans pour le réseau des centres de pédiatrie sociale du DGilles Julien, qui a une fondation à son nom.

Comme il n’y a pas de hasard en politique, notons que cette opération prébudgétaire survient au moment où le gouvernement se fait reprocher que sa baisse d’impôts profitera aussi aux plus riches.

Les invitera-t-il à faire un don ?