(Ottawa ) Pour la première fois depuis 2016, les astres étaient bien alignés. Certains craignaient que les priorités du Canada soient encore reléguées aux oubliettes lors du sommet des Trois Amigos, qui a lieu au Mexique, à cause notamment de l’obsession des États-Unis à régler l’épineux dossier du flux migratoire au sud de sa frontière.

Au bout du compte, le premier ministre Justin Trudeau a su tirer profit de cette rencontre des leaders nord-américains pour régler certains dossiers et en faire avancer d’autres, plus complexes.

D’abord, le président des États-Unis, Joe Biden, effectuera en mars une première visite officielle au Canada depuis qu’il a accédé à la Maison-Blanche. Une invitation avait été lancée dans les jours ayant suivi sa victoire, en novembre 2020. Mais la pandémie qui a sévi pendant deux ans constituait un obstacle de taille. La voie est finalement libre pour une première visite officielle d’un président américain depuis celle de Barack Obama en février 2009. Ce dernier était revenu à Ottawa en juin 2016, tandis que son mandat tirait à sa fin, afin d’assister au Sommet des leaders nord-américains, et il avait profité de l’occasion pour prononcer un discours devant les députés et sénateurs, réunis à la Chambre des communes.

Ensuite, Ottawa et Washington sont tombés d’accord sur une solution pour relancer le programme Nexus – un programme mis sur pause durant la pandémie qui permet aux voyageurs préapprouvés de passer plus rapidement la frontière canado-américaine. Au Canada, ce programme est populaire – environ 1,3 million de Canadiens sont détenteurs de la carte. Mais on compte 240 000 demandes en attente d’approbation.

L’accord entre les deux pays doit entrer en vigueur au printemps et permettra aux Canadiens d’obtenir les deux entrevues de sécurité requises au préalable – l’une avec les douaniers américains et l’autre avec les agents frontaliers du Canada – avant leur départ vers les États-Unis. Mais les intéressés devront partir de l’un des aéroports qui offrent cette option, soit Montréal, Toronto, Vancouver, Calgary, Edmonton, Winnipeg et Halifax.

Enfin, la délégation canadienne, qui comptait pour la première fois des représentants du monde des affaires, à l’instar des autres délégations, a réussi à imposer un thème crucial pour éviter les excès du protectionnisme américain à l’heure du Inflation Reduction Act : Washington doit traiter le continent nord-américain comme le terrain de jeu économique optimal pour rebâtir des chaînes d’approvisionnement résilientes et moins dépendantes des régimes autoritaires comme la Chine ou la Russie.

L’un des résultats concrets obtenus par la délégation canadienne est la création d’un forum trilatéral sur les semiconducteurs qui réunira de hauts représentants de l’industrie et des membres du cabinet des gouvernements du Canada, du Mexique et des États-Unis en 2023.

Le but de ce forum est de faire en sorte que les politiques gouvernementales des trois pays soient bien calibrées de manière à accroître les investissements dans les chaînes d’approvisionnement en semiconducteurs sur l’ensemble du continent.

Dès qu’il a foulé le sol mexicain, lundi, Justin Trudeau a mis en relief les nombreux atouts économiques qui s’offrent aux trois pays s’ils travaillent main dans la main. Il a joué à profusion la carte des minéraux critiques dont le Canada dispose en abondance. « La coopération économique entre le Canada, les États-Unis et le Mexique est cruciale », a notamment déclaré le premier ministre devant des gens d’affaires. « La coopération nord-américaine améliore la compétitivité de nos économies, la résilience de nos chaînes d’approvisionnement et la sécurité de nos pays. »

Quelques heures avant de quitter la capitale du Mexique, mercredi, il a entonné le même refrain devant les journalistes. « Quand les trois pays travaillent en collaboration, nous formons un bloc commercial super puissant qui peut relever les défis de la géopolitique qui se complexifie ailleurs avec la Chine et la Russie. On peut prospérer tout en assurant le succès de nos propres citoyens dans chacun de nos pays. Cela a certainement été au cœur de nos discussions ici à Mexico », a-t-il avancé.

Le président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires (CCA), Goldy Hyder, faisait partie de la délégation canadienne dirigée par Justin Trudeau. Durant son passage au Mexique, il a pu rencontrer des membres de l’administration Biden, notamment le secrétaire d’État, Antony Blinken, et la secrétaire au Commerce, Gina Raimondo. Il a aussi rencontré la secrétaire à l’Économie du Mexique, Raquel Buenrostro.

Son message à tous ses interlocuteurs était le même. « Nous devons avoir une approche ‟équipe Amérique du Nord” pour affronter les défis que nous avons en commun », a soutenu M. Hyder dans une entrevue avec La Presse mercredi.

Le monde change rapidement. Le contexte géopolitique n’est plus le même. À l’heure actuelle, nous avons le meilleur accord commercial au monde. Il faut reconnaître que la concurrence n’est pas entre nous trois, le Canada, les États-Unis et le Mexique. La concurrence est avec le reste de la planète.

Goldy Hyder, président et chef de la direction du Conseil canadien des affaires

Il a soutenu que Justin Trudeau avait défendu avec force les avantages du commerce sur le continent. « Nous avons besoin de plus de leaders qui vont défendre les avantages du libre-échange. Le commerce crée des emplois, ça permet aux consommateurs d’avoir accès à de bons produits, ça alimente l’innovation, ça permet de tisser des liens. Mais ce dossier a été démonisé au fil des ans, particulièrement aux États-Unis, par les deux partis. On ne peut pas se permettre d’avoir un courant anticommerce aux États-Unis quand nous sommes le principal partenaire de ce pays. »

M. Hyder se réjouit de voir que le président des États-Unis effectuera sa toute première visite officielle au Canada en mars. « Au-delà du symbole, c’est très important. On a vu qu’on ne peut rien tenir pour acquis en ce qui concerne nos relations avec les Américains.

« Chaque jour, il faut se poser la question suivante : que doit-on faire pour s’assurer que cette relation demeure solide ? Nous devons tous le faire collectivement : les gouvernements, les entreprises, les syndicats et les autres. »