Qui sera ministre de quoi ?

Dans les jours précédant la formation d’un nouveau gouvernement ou un remaniement ministériel d’envergure, la question devient obsédante.

Rares sont les occasions où les journalistes peuvent, en temps réel, se mesurer à l’omerta qui entoure ces exercices. Le matin de l’annonce, les reporters présentent leur carte de pointage, constatent s’ils ont fait mouche ou s’ils se sont trop allègrement lancés dans des conjectures.

Dans ces opérations, tout se décide au plus haut niveau, mais parfois dans l’improvisation. Il suffit qu’un député fasse la fine bouche devant le plat qu’on lui avait préparé pour que le château de cartes s’écroule et qu’il faille recommencer.

Vice-première ministre sous Robert Bourassa, Lise Bacon aimait rappeler qu’elle avait changé quatre fois de portefeuille durant la soirée fébrile où le patron avait distribué les cartes. Les anecdotes foisonnent sur les décisions inattendues.

Quand elle a formé son conseil des ministres, en 2012, Pauline Marois pensait que sa fidèle disciple Nicole Léger accepterait le Tourisme. Or elle a refusé et a finalement obtenu la Famille. Ce qui allait permettre à Pascal Bérubé de faire son entrée au Conseil des ministres par un cheveu. On avait pensé à Stéphane Bédard pour la Justice. Il a finalement atterri au Conseil du trésor. Sylvain Gaudreault était convaincu de ne pas devenir ministre. Ses voisins de circonscription éminemment ministrables étaient Stéphane Bédard et Alexandre Cloutier, deux candidats incontournables. Gaudreault a pourtant obtenu deux portefeuilles, les Transports et les Affaires municipales. Donner une voix à une région ne garantit rien. Le Saguenay, qui avait eu trois ministres sous le dernier gouvernement péquiste, vient de voter massivement pour la Coalition avenir Québec.

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

L’ancienne cheffe du Parti québécois, Pauline Marois, avec l’ancien ministre Sylvain Gaudreault, en 2016

Sous Jean Charest, les surprises ont été aussi nombreuses. Yves Séguin dérangeait aux Finances, on lui a offert la Justice. À la surprise générale, il a refusé, préférant démissionner. À la dernière minute, c’est Yvon Marcoux qui a hérité de la Justice alors qu’on le destinait aux banquettes arrière après qu’il eut servi aux Transports. Heureusement pour lui, on s’était souvenu qu’il était avocat, condition sine qua non pour être responsable de la Justice. Le même Yves Séguin sous Robert Bourassa voulait le Revenu. C’est plutôt Michel Gratton, le leader parlementaire, qui en est devenu le titulaire. Il ne l’apprendra qu’au moment de la cérémonie au Salon rouge.

Lucien Bouchard n’était pas à l’abri des surprises. Pour la postérité, Guy Julien est apparu en veston à carreaux dans la photo de famille du gouvernement. Bombardé ministre de l’Agriculture juste avant la cérémonie, il n’avait pas eu le temps d’enfiler un costume sombre comme ses collègues. Daniel Paillé, ministre de l’Industrie sous Jacques Parizeau, s’est fait offrir un poste de ministre délégué — qu’il a refusé — sous Bernard Landry, promu grand responsable de l’Économie.

Les banquettes arrière

Reléguer un ministre aux banquettes arrière est une opération délicate. François Legault a limité les dégâts en ne faisant que deux malheureux jeudi, Pierre Dufour et Lucie Lecours. Sans trop de problèmes, il avait rétrogradé trois ministres depuis 2018, MarieChantal Chassé, Sylvie D’Amours et Marie-Ève Proulx. Après ces élections, Claire Samson s’attendait au ministère de la Culture. Laissée pour compte, elle s’est vengée en passant aux conservateurs d’Éric Duhaime.

Jean Garon n’était guère solidaire des décisions du gouvernement péquiste quand Lucien Bouchard lui a enlevé l’Éducation, où l’avait nommé Jacques Parizeau, un choix étonnant. Bernard Landry s’est fait des ennemis tenaces en rétrogradant Guy Chevrette et Jacques Brassard, destinés à une mission nébuleuse de promoteurs de la souveraineté.

Jean Charest a eu à composer avec l’acrimonie d’un Thomas Mulcair, à qui il avait arraché le portefeuille de l’Environnement. Éjecté des Transports par Philippe Couillard, Robert Poëti a mis des bâtons dans les roues à son successeur Jacques Daoust, en soulevant des doutes sur la gestion du Ministère.

La décision de faire monter un député au saint des saints sort parfois des mains du premier ministre. Rita Dionne-Marsolais avait annoncé à Bernard Landry qu’elle resterait neutre dans une éventuelle course à la direction du PQ. « Moi aussi, je resterai neutre au prochain remaniement », avait-il prévenu.

Ces derniers jours, le bruit a filtré que Pierre Fitzgibbon et Eric Girard, deux poids lourds du gouvernement, étaient intervenus pour que Simon Jolin-Barrette n’ait plus la responsabilité de la langue, une demande du milieu des affaires. Girard sera désormais responsable des relations avec les anglophones.

Parfois, alignés sur la ligne de départ, les coureurs tentent d’influencer le résultat en répandant des rumeurs. Rémy Trudel, alors député de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, savait bien qu’il ne saurait y avoir deux ministres dans sa région. Il a fait courir la rumeur que son collègue François Gendron préférerait la présidence de l’Assemblée nationale à un portefeuille. Au jour crucial, Trudel est devenu ministre de l’Agriculture et Gendron a refusé la présidence de la Chambre.

Parfois, c’est le cabinet du premier ministre lui-même qui prépare le terrain. Sous Jean Charest, on a appris tout à coup que Lawrence Bergman, le ministre du Revenu, avait des problèmes de santé. Une excuse toute trouvée pour expliquer une rétrogradation.

Au reporter candide et un peu enveloppé qui avait répandu l’information, Bergman plaida qu’il était en pleine forme. « On pourrait faire le tour du parlement ensemble, vous seriez essoufflé avant moi ! », avait lancé Bergman, toujours aimable.

Je n’avais pas relevé le défi.