(Ottawa) À environ deux semaines de la rentrée parlementaire, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, montre des signes d’impatience. À un point tel que certains se demandent si l’entente qu’il a conclue avec le premier ministre Justin Trudeau, qui doit assurer la survie politique des libéraux minoritaires à la Chambre des communes jusqu’en juin 2025, tiendra le coup.

M. Singh, qui a presque disparu du radar politique depuis qu’il a conclu cette entente en mars, a lancé un premier coup de semonce en août en déclarant au quotidien Toronto Star que celle-ci deviendrait nulle si le gouvernement Trudeau ne met pas en œuvre, comme promis, le premier pan d’un nouveau programme national de soins dentaires d’ici la fin de l’année.

Le régime de soins dentaires serait réservé aux familles dont le revenu est inférieur à 90 000 $ et aux personnes dont le revenu annuel est inférieur à 70 000 $. Le régime doit d’abord couvrir les personnes de moins de 12 ans en 2022, puis être élargi aux moins de 18 ans, aux aînés et aux personnes en situation de handicap en 2023. Sa mise en œuvre complète est prévue pour 2025. En tout, environ neuf millions de Canadiens doivent être admissibles à ce programme, une fois qu’il aura été pleinement mis en œuvre, à un coût annuel de 1,7 milliard.

En temps normal, il faudrait de deux à trois ans d’efforts à la machine fédérale pour mettre sur pied un tel programme. Dans les coulisses, des libéraux craignent de prêter le flanc aux critiques de mauvaise gestion financière en procédant à la création de ce programme aussi rapidement, comme l’exige le NPD.

Mais le NPD tient mordicus à ce que les premières bases du programme soient jetées d’ici la fin de l’année. « J’ai clairement fait savoir au premier ministre que ce programme devait voir le jour. Il n’y a pas d’autre option qui s’offre [aux libéraux]. Cela doit se concrétiser. L’entente repose sur cela », a confié Jagmeet Singh au Toronto Star début août.

La question des transferts

La semaine dernière, le chef néo-démocrate a lancé un deuxième coup de semonce dans un dossier connexe : le rôle accru du secteur privé dans la prestation des soins de santé. À l’instar du Bloc québécois, le NPD presse le gouvernement Trudeau d’augmenter les transferts aux provinces au moment où le régime de soins de santé est en train de s’effondrer après deux ans de pandémie de COVID-19. Pénurie de personnel, travailleurs épuisés, opérations reportées, listes d’attente qui s’allongent : les maux qui affligent le réseau sont multiples. Durant l’été, des urgences ont dû être fermées dans plusieurs provinces, notamment en Ontario.

Depuis trois ans, les provinces réclament une hausse des transferts en santé de quelque 28 milliards par année. Cette hausse permettrait de faire en sorte qu’Ottawa s’acquitte de 35 % de la facture totale liée au système de soins de santé au pays, contre 22 % aujourd’hui. Mais le gouvernement Trudeau continue de faire la sourde oreille à cette requête, même s’il a promis à quelques reprises que des négociations auraient lieu à ce sujet une fois que la pandémie serait terminée.

En Ontario, le gouvernement de Doug Ford a décidé de prendre le taureau par les cornes en ouvrant davantage la porte au secteur privé. Les patients n’auront pas à payer pour les services, a prévenu la ministre de la Santé, Sylvia Jones. Ils n’auront qu’à présenter leur carte d’assurance maladie. M. Ford a récemment rencontré ses homologues des provinces atlantiques à Moncton, au Nouveau-Brunswick, afin de trouver des solutions à la crise.

Pour le chef du NPD, il s’agit d’un pas dangereux vers la privatisation des services de soins de santé.

« Les soins de santé publics universels sont pris pour cible par les conservateurs qui veulent transformer les soins de santé en activités à but lucratif. Pendant ce temps, les libéraux sont incapables de régler les problèmes récurrents qui empêchent la population canadienne d’obtenir les soins dont elle a besoin », a-t-il pesté dans un communiqué de presse.

Lors de la dernière élection, Justin Trudeau a promis qu’il améliorerait et étendrait notre système de soins de santé. Près d’un an plus tard, le bilan est sombre, car les personnes qui ont besoin de soins attendent toujours.

Jagmeet Singh, chef du Nouveau Parti démocratique

M. Singh a aussi souligné qu’Ottawa et les provinces devraient s’entendre pour reconnaître plus rapidement les titres de compétences des médecins, du personnel infirmier et des spécialistes formés à l’étranger pour contrer la pénurie de personnel.

Héritage sacré

Le caucus du NPD se réunira à Halifax du 7 au 10 septembre. L’avenir des soins de santé sera l’un des principaux sujets à l’ordre du jour. « Le système de soins de santé public et universel, c’est l’héritage de Tommy Douglas. C’est sacré pour nous », a affirmé à La Presse le chef adjoint du NPD, Alexandre Boulerice.

« Au NPD, on s’est toujours battus contre la privatisation des soins de santé et des services publics. On l’a fait aussi quand cela touchait le Québec il y a quelques années. On va continuer de le faire. Il est clair que l’on va se dresser contre cela et l’on va faire pression sur les libéraux pour empêcher les premiers ministres conservateurs de droite de mettre la hache dans nos services publics », a-t-il ajouté.

L’avenir du régime de soins de santé pourrait-il provoquer la fin de l’entente avec les libéraux si Justin Trudeau refuse d’injecter de nouveaux fonds ou d’intervenir pour freiner l’élan de privatisation de certains premiers ministres provinciaux ? Alexandre Boulerice refuse de se prononcer. Mais cette question fera partie des discussions à la rencontre d’Halifax. « L’avenir du système de santé, c’est majeur. Et pour nous, c’est clair que l’entente avec les libéraux n’est pas un chèque en blanc », a-t-il dit.