(Ottawa) La présence de Justin Trudeau au côté du premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, lundi à Windsor, à quelques heures du déclenchement des élections provinciales, a fait sourciller plus d’un observateur de la scène politique. Les stratèges des différents partis, à Ottawa comme à Toronto, en ont aussi pris bonne note.

Même le chef du Parti libéral de l’Ontario, Stephen Del Duca, a été interpellé à ce sujet le même jour, sur le réseau CBC NewsNetwork, tandis qu’il tente de redonner du tonus à sa formation politique après la débâcle du scrutin de juin 2018. « Doug Ford est en campagne depuis des mois », s’est-il borné à dire.

Les deux premiers ministres se trouvaient dans le sud-ouest de la province afin de confirmer une annonce à saveur économique : un coup de pouce financier des deux gouvernements dépassant le milliard de dollars pour permettre à Stellantis de rééquiper et de moderniser ses usines de Windsor et de Brampton.

Le constructeur automobile, qui a vu le jour en janvier 2021 à la suite de la fusion du groupe PSA Peugeot-Citroën et de Fiat Chrysler Automobiles, entend convertir ces deux usines en installations polyvalentes d’assemblage afin d’y produire notamment des véhicules électriques.

Sachant pertinemment que la campagne électorale se mettrait en branle mercredi en prévision d’un scrutin le 2 juin, Justin Trudeau s’est félicité de la bonne entente qui existe entre les ministres fédéraux et ceux du gouvernement de l’Ontario.

D’ailleurs, son ministre de l’Innovation, des Sciences et de l’Industrie, François-Philippe Champagne, était aussi présent, tout comme son homologue ontarien, Vic Fedeli, afin d’expliquer les détails de ce « nouveau deal » conclu avec les dirigeants de Stellantis, qui investira aussi 2,4 milliards dans ce plan.

Aux journalistes qui lui demandaient si cette autre annonce en compagnie de Doug Ford constituait un appui tacite de sa part avant les élections, Justin Trudeau est resté de marbre.

« Il s’agit ici d’investir à Windsor. Il s’agit de l’aboutissement de mois, voire des années de travail à mettre de l’avant le Canada comme le bon partenaire pour des investissements dans les véhicules électriques. Nous avons travaillé sans relâche sur ce dossier pendant des mois et des mois. C’est une bonne nouvelle et je sais que les gens de Windsor n’auraient pas voulu que cela soit repoussé d’une autre journée », a répondu le premier ministre.

Sourire en coin, Doug Ford, qui veut faire campagne davantage sur son bilan économique que sur sa gestion de la pandémie, a fait écho aux propos de son homologue fédéral.

« Cela fait des mois que nous travaillons sur ce dossier. Vous savez, je mets toutes ces étiquettes politiques de côté. Nous avons travaillé tellement bien ensemble durant toute la pandémie, les trois ordres de gouvernement. Et les gens s’attendent à ce que ce soit le cas. Quand les élections sont terminées, ils s’attendent à ce que l’on travaille ensemble », a-t-il indiqué.

Des ententes, Doug Ford en a conclu plus d’une avec Ottawa au cours des derniers mois. Notamment celle sur les services de garde, qui a été paraphée à la fin de mars et qui permettra à l’Ontario d’obtenir 10,2 milliards au cours des cinq prochaines années pour ramener les frais de garde à environ 10 $ par jour en moyenne d’ici septembre 2025. Encore là, Justin Trudeau a fait le trajet jusqu’à Toronto pour faire l’annonce avec son homologue ontarien.

Le premier ministre de l’Ontario entretient d’ailleurs des relations fort harmonieuses avec la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland. Les deux échangent souvent des textos. Et quand elle a été promue à son poste de ministre des Finances, en août 2020, Doug Ford l’a publiquement couverte de louanges.

Durant les élections fédérales de septembre dernier, Doug Ford a opté pour la plus grande neutralité au motif qu’il en avait plein les bras à gérer la province en temps de pandémie. Il n’a donc pas levé le petit doigt pour venir en aide à ses cousins fédéraux conservateurs, alors dirigés par Erin O’Toole.

En coulisses, les libéraux fédéraux sont conscients que Doug Ford, même s’il arbore une couleur politique différente, est un allié objectif en Ontario.

« Nous avons des relations fructueuses avec le gouvernement Ford », a convenu un ministre influent de l’Ontario sous le couvert de l’anonymat. Interrogé à savoir s’il comptait faire ouvertement campagne contre Doug Ford, le ministre s’est montré hésitant. « Nous allons appuyer les libéraux dans nos circonscriptions… », a-t-il confié sans terminer sa phrase.

Les électeurs ontariens ont la réputation de ne jamais mettre tous leurs œufs dans le même panier. Ils donnent les clés du pouvoir à un parti politique à Queen’s Park qui diffère de celui qui est aux commandes à Ottawa. À titre d’exemple, les conservateurs de Mike Harris ont fait la pluie et le beau temps en Ontario dans les années 1990 pendant que les libéraux de Jean Chrétien dominaient le paysage politique fédéral. Inversement, quand les libéraux de Dalton McGuinty ont pris le pouvoir à Queen’s Park, en 2003, les électeurs ontariens se sont sentis libres sur la scène fédérale d’appuyer le Parti conservateur de Stephen Harper, qui a remporté la victoire trois ans plus tard.

Autre exemple : Brian Mulroney, lorsqu’il était au pouvoir à Ottawa, a pu compter sur l’appui indéfectible d’un premier ministre libéral en Ontario, David Peterson, pour défendre l’accord du lac Meech.

Au premier jour de la campagne, mercredi, un sondage indiquait que Doug Ford avait de bonnes chances d’obtenir un second mandat. À Ottawa, Justin Trudeau pourrait très bien s’accommoder d’un tel résultat.