(Ottawa) Le NPD a crié victoire quand le gouvernement Trudeau a annoncé dans son récent budget qu’il injecterait 5,3 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années afin de créer un programme de soins dentaires pour les familles à faible revenu.

Mais le cri de victoire poussé par les néo-démocrates pourrait être prématuré. Car la mise en œuvre de ce programme ne dépend pas uniquement de la bonne volonté du gouvernement Trudeau. Elle dépend aussi des provinces. À l’heure actuelle, les premiers ministres ne sont pas d’humeur à se lancer dans cette aventure. Leur priorité demeure la même. Ils réclament une hausse sans condition des transferts en santé de la part du gouvernement fédéral. À cet égard, le budget de la ministre des Finances, Chrystia Freeland, les a amèrement déçus.

La création de ce programme fait partie de la fameuse entente qu’ont conclue le mois dernier le premier ministre Justin Trudeau et le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh. Cette entente assure la survie du gouvernement libéral minoritaire aux Communes jusqu’en juin 2025 grâce à l’appui des élus néo-démocrates lors des votes de confiance sur les budgets. En échange de cet appui, les libéraux s’engagent à financer certaines mesures jugées prioritaires par le NPD.

Dès cette année

Le programme de soins dentaires doit être mis en œuvre dès cette année (300 millions de dollars) et il s’appliquera d’abord aux enfants de moins de 12 ans. Il sera ensuite élargi aux personnes de moins de 18 ans, aux aînés et aux personnes en situation de handicap en 2023 (600 millions de dollars). La mise en œuvre complète du programme est prévue en 2025 et il sera limité aux familles ayant un revenu annuel inférieur à 90 000 $. Le coût annuel du programme est estimé à 1,7 milliard de dollars.

Selon le ministère des Finances, le tiers des Canadiens n’ont pas d’assurance dentaire. Pis encore, plus d’un Canadien sur cinq a écarté l’idée d’obtenir des soins dentaires en raison du coût, selon des données de 2018.

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La ministre des Finances, Chrystia Freeland, lors de la présentation de son budget plus tôt ce mois-ci

Interrogée au sujet du fonctionnement de ce nouveau programme au lendemain de la présentation de son budget, la ministre Chrystia Freeland avait peu de détails précis à offrir.

« C’est de l’argent que nous avons mis sur la table et maintenant, nous devons nous retrousser les manches, travailler de près avec les provinces et les territoires, et déterminer exactement comment nous allons mettre ce programme en œuvre », a indiqué la ministre Freeland, de passage à Hamilton, en Ontario.

Je ne vais pas prétendre que ce sera facile ou simple. Une approche collaborative prend toujours du temps, et cela nécessite beaucoup de conversations.

Chrystia Freeland, ministre des Finances

Du temps, il en faudra beaucoup. Car deux provinces importantes, l’Ontario (juin) et le Québec (octobre), tiendront des élections cette année. Des élections qui feront tourner la machine gouvernementale – et les pourparlers entre Ottawa et les provinces – au ralenti.

Des détails « à confirmer »

Dans les rangs du NPD, on reconnaît volontiers que les modalités du nouveau programme n’ont pas encore été ficelées. Mais on tient mordicus à ce que le tout voie le jour dès cette année, comme on en a convenu dans l’entente conclue avec les libéraux.

« La mise en œuvre du programme fait encore l’objet de discussions avec les libéraux. Certains détails restent donc à confirmer. Mais le programme du NPD prévoyait que le fédéral gérerait un programme d’assurance comparable à une assurance privée, c’est-à-dire qu’une fois que le dentiste a fait une intervention, il enverrait la facture au gouvernement fédéral et il la paierait », a indiqué une source néo-démocrate à La Presse.

« Ça fonctionne présentement comme cela dans le cas de plusieurs assureurs privés ou avec la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Le fédéral offre déjà des services similaires pour les personnes autochtones et les réfugiés », a ajouté cette source, qui s’exprimait sous le couvert de l’anonymat parce qu’elle n’était pas autorisée à parler publiquement des pourparlers en cours.

Cette source a indiqué que le Québec aurait le droit de se retirer du programme et d’obtenir une compensation financière de la part du fédéral, s’il le souhaite dans la mesure où il offre des services comparables aux familles à faible revenu.

Mais le principal allié du NPD sur la scène provinciale, le premier ministre néo-démocrate de la Colombie-Britannique, John Horgan, s’est montré peu enclin à négocier avec le gouvernement fédéral pour créer un tel programme.

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Le premier ministre de la Colombie-Britannique, John Horgan

M. Horgan, qui assure la présidence du Conseil de la fédération cette année et parle ainsi au nom de l’ensemble des provinces et des territoires, a déclaré que la priorité de ses collègues était de consolider le réseau de la santé au pays, rudement mis à l’épreuve par la pandémie de COVID-19. Et selon lui, cela passe par une hausse des transferts aux provinces.

Rappelons que les provinces pressent le gouvernement fédéral de majorer les transferts de l’ordre de 28 milliards de dollars par année afin de payer au moins 35 % des coûts des services de santé au pays, contre 22 % actuellement. Justin Trudeau s’est engagé récemment à augmenter les transferts en santé, sans toutefois avancer un montant.

« Ne serait-il pas formidable d’avoir un programme national de soins dentaires ? Absolument. Mais je crois que nous devons commencer par le commencement, c’est-à-dire un financement stable [pour la santé] de sorte que l’on puisse remplacer la hanche d’un patient, que l’on puisse se donner une stratégie en matière de ressources humaines pour les soins de base », a déclaré M. Horgan dans une entrevue au réseau CBC diffusée dimanche.

« Et nous devons nous attarder à cela non pas en lançant un nouveau programme national, mais en nous concentrant sur le programme national existant », a-t-il ajouté.

Résultat : sans le concours des provinces, le programme national de soins dentaires risque de demeurer à l’étape des belles intentions.