Gilles Duceppe ne baisse pas les bras, 25 ans après son élection à la tête du Bloc québécois

(Québec ) Le destin a frappé trois fois à la porte de Gilles Duceppe, mais chaque occasion, le politicien a opté pour une autre voie. Il n’a jamais fait le saut à Québec, n’est pas devenu chef du Parti québécois. Retour sur le parcours de celui qui, il y a 25 ans, le 15 mars 1997, prenait le relais de Lucien Bouchard comme chef du Bloc à la Chambre des communes.

Même si la souveraineté n’est plus aussi populaire, Duceppe ne déclare pas forfait. En 1989, un an avant l’échec de Meech, les maisons de sondage ne posaient même plus la question sur l’intention de vote référendaire, rappelle l’ex-politicien en entrevue cette semaine. Meech a été déterminant, « mais il y a toujours un fond qui peut faire surgir quelque chose, même si ce n’est pas là actuellement ». « Quand on observe l’assimilation fulgurante des francophones au Canada et la situation précaire du français à Montréal, j’espère encore que quelque chose se produira », laisse tomber l’ex-politicien de 75 ans.

Avec le recul, il reconnaît avoir un regret ; il aurait dû tenter sa chance quand, en juin 2005, Bernard Landry a claqué la porte du Parti québécois. « C’est une erreur que j’ai commise, quand M. Landry est parti, j’aurais dû y aller », reconnaît Duceppe. Même avant le départ de Landry, il semblait le successeur évident, Jacques Parizeau l’avait décrit comme « le souverainiste le plus inspirant ». Au congrès pendant lequel Landry a annoncé son départ surprise, Duceppe venait d’ailleurs de faire une démonstration de force.

Comme à l’époque, Duceppe rappelle que tout le monde s’attendait alors au déclenchement imminent d’élections fédérales. Or, le gouvernement de Paul Martin avait survécu in extremis quand la conservatrice Belinda Stronach avait traversé la Chambre. Le scrutin a eu lieu six mois plus tard. À Ottawa, Michel Gauthier était le remplaçant probable, mais son anglais posait problème, observe Duceppe.

PHOTO ANDRÉ PICHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

Paul Martin et Gilles Duceppe, en 2006

« Duceppe sentait qu’il avait la responsabilité de rester, à cause du gouvernement minoritaire », résume Stéphane Gobeil, alors dans l’entourage du bloquiste. « Ce fut un concours de circonstances », disent à l’unisson François Leblanc et Pierre-Paul Roy, deux collaborateurs de longue date de Duceppe à Ottawa. Gobeil appose un bémol : Duceppe a peut-être reculé devant la taille du défi.

Quand tu deviens chef du Parti québécois et que tu te fais élire, on te donne la valise avec le code nucléaire, les militants attendent ton référendum sur la souveraineté.

Stéphane Gobeil, dans l’entourage de Gilles Duceppe au début des années 2000

À la démission d’André Boisclair, en mai 2007, Duceppe est sur le bout de sa chaise. Il se voit depuis longtemps « dans l’habit du chef du PQ », avait déclaré Boisclair, en se vidant le cœur en entrevue. Le temps d’un communiqué de presse, Duceppe annonce qu’il sera sur les rangs, prêt à un affrontement avec Pauline Marois, candidate déjà annoncée. En moins de 24 heures, il change d’avis et renonce à se lancer en piste.

L’intuition

« En politique, il faut avoir la réflexion, mais aussi l’intuition. Ça, c’est la personne avec qui tu vis. Être candidat a été une erreur, Yolande [sa femme] me l’a fait comprendre », explique aujourd’hui Duceppe. Sa conjointe était à l’extérieur pour son travail à ce moment, et ses arguments ont fait mouche à son retour. D’autres sources confient toutefois que Duceppe avait vite senti qu’il n’était pas le bienvenu chez les députés péquistes. « Chaque fois que Gilles a voulu se présenter à la chefferie du PQ, la réaction du parti était […] extrêmement réservée », raconte l’ex-député Pierre Curzi dans la biographie de Duceppe publiée par Robert Blondin. À la tête du Bloc, Duceppe s’était taillé une réputation de « rigidité, d’autoritarisme », poursuit Curzi. « Il y a toujours eu des réticents au caucus du PQ, pour eux, M. Duceppe était un étranger, tout comme Lucien Bouchard. Si tu ne viens pas du PQ, tu restes un étranger », résume Pierre-Paul Roy.

L’année 2011 sera bien difficile pour Pauline Marois à la tête du PQ. La grogne couve au sein du parti. À des moments stratégiques, des présidents d’association annoncent leur départ. Les collaborateurs de Duceppe soupèsent les appuis qu’il serait susceptible d’obtenir, lui qui vient de subir une raclée sur la scène fédérale. Au sein du caucus péquiste, on se prépare à un putsch auquel Duceppe ne veut pas être associé.

Je n’ai pas fait de démarches, je l’avais dit à tout le monde : on n’intervient pas [dans le caucus péquiste] !

Gilles Duceppe

« Je n’ai aucune velléité de prendre la place de qui que ce soit. Je ne cautionne ni n’encourage aucune contestation de ton leadership », écrira Duceppe dans une lettre publique à Mme Marois, début novembre. À l’époque députée indépendante, Louise Beaudoin nuance toutefois : l’ancien chef bloquiste était plus « proactif » qu’il ne veut l’admettre. Au début de 2012, Duceppe l’avait invitée à un dîner pour lui demander si elle réintègrerait le caucus s’il devenait chef du PQ. Elle avait accepté. Duceppe dit ne pas se souvenir de cet entretien.

Fin janvier 2012, La Presse révèle que sous Gilles Duceppe, pendant sept ans, le directeur général du Bloc, Gilbert Gardner, était rétribué à même le budget payé par la Chambre des communes, une contravention aux règles qui voulaient que ces fonds servent à payer des activités parlementaires, et non partisanes. Avec le temps, on comprendra que les règles restaient imprécises. Mais ces révélations couperont radicalement les ailes aux ambitions du clan Duceppe.

Des hauts… et des bas

C’est une carrière en montagnes russes qu’a connue cet ancien syndicaliste de la CSN qui négociait pour le secteur de l’hôtellerie. Le fils du comédien Jean Duceppe, icône du théâtre québécois, deviendra à l’été 1990 le premier député élu sous la bannière du Bloc québécois, alors une phalange de députés en rupture de ban des conservateurs et des libéraux, regroupés derrière Lucien Bouchard, qui venait de démissionner du gouvernement Mulroney.

PHOTO MICHEL GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Lucien Bouchard et Gilles Duceppe, en 1990

Il est sans doute le souverainiste qui a le plus contribué à expliquer les aspirations du Québec dans le reste du pays. Parfaitement bilingue, il fera quelques tournées pancanadiennes et de nombreuses interventions à Toronto, une contribution importante au moment où le gouvernement Chrétien avait adopté sa loi « sur la clarté » référendaire. « On a tenu des colloques, écrit des livres. Parizeau a dit que le Bloc était le phare du mouvement souverainiste », souligne encore aujourd’hui Duceppe.

Son parcours est marqué par des succès retentissants. Aux élections de juin 2004 à la faveur du scandale des commandites, le Bloc obtient 49 % des suffrages au Québec, atteignant le record de Lucien Bouchard et du Bloc en 1993. Comme Bouchard, Duceppe fait alors élire 54 députés. Des campagnes de communications particulièrement léchées – « Un parti propre au Québec », par exemple – resteront une marque de commerce, jusqu’au moins inspiré « On parle QC » de la campagne difficile de 2015.

Duceppe connaît aussi de sévères dégelées. Il raconte sa première campagne, en 1997.

On n’était pas prêts [en 1997], Lucien venait de partir pour Québec, ça n’avait pas été une bonne campagne, même si on avait obtenu 44 députés.

Gilles Duceppe

Dans son ouvrage La rébellion tranquille qui reste la référence sur l’histoire du Bloc québécois, Martine Tremblay rappelle que cette campagne, qui débute avec l’image peu flatteuse du chef portant un bonnet dans une fromagerie, est un chemin de croix pour Duceppe. Son entourage « en arrive à la conclusion qu’il est incapable de finir la campagne », écrit-elle. Duceppe se déguise même en courant d’air à un évènement partisan à Longueuil, « une crise d’asthme », explique aujourd’hui Pierre-Paul Roy.

Aux élections de 2011, le courant subit de sympathie envers le chef néo-démocrate de l’époque, Jack Layton, fait fondre ses appuis. Le Bloc passe de 49 à 4 députés, Duceppe est même battu dans sa circonscription. Dans les mois précédents, les publications et les rassemblements du Bloc avaient insisté sur le 20e anniversaire du parti. Les électeurs se sont peut-être souvenus que ce parti ne devait faire qu’une seule élection, observe Martine Tremblay.

Même cruelle déception quand, en 2015, Duceppe prend à la dernière minute le relais de Mario Beaulieu, à sa demande. Le Bloc se dirigeait vers la disparition. Les Québécois décident de congédier Harper en appuyant Justin Trudeau. Duceppe obtient 19 % des sièges, avec seulement 10 députés. Une fois de plus, il est battu dans Laurier–Sainte-Marie.

Que devrait-on retenir de son passage en politique ? « Mon travail… L’honnêteté de mes convictions, et la capacité de travailler, même avec des adversaires. J’avais appris ça en négociations », résume Duceppe en entrevue. « Les gens se demandent s’il faut “être ou avoir”. Moi, j’ai toujours dit : l’important, c’est “faire” », conclut-il.