(Québec ) C’est le même parti qu’il y a deux ans. Les délais de la course à la direction sont à peine plus longs. Or, en 2020, Jean Charest avait décidé de ne pas se lancer dans la course à la succession d’Andrew Scheer. Cette fois, à moins d’un imprévu, il fera le saut.

Vers la fin de la semaine prochaine, l’ancien premier ministre devrait officialiser sa candidature pour devenir chef du Parti conservateur du Canada (PCC).

Car une chose surtout a changé par rapport à la course précédente : l’UPAC a annoncé qu’elle fermait les livres, mettant fin à l’enquête Mâchurer qui, pendant près de huit ans, a été une épée de Damoclès au-dessus de la tête de l’aspirant chef conservateur. Une menace si tangible qu’en fixant les règles de la course de 2020, les dirigeants du parti avaient prévenu que les candidats ne devraient pas faire l’objet d’enquêtes policières. Charest avait décidé de ne pas tenter le diable.

L’abandon de l’enquête aura été l’élément déterminant dans sa décision de se lancer dans la course, à 63 ans, confie-t-on. Après avoir rencontré une quarantaine de députés conservateurs mercredi soir, il participait encore jeudi à des entretiens privés, à Ottawa.

En 2020, il avait plaidé qu’il allait « manquer de temps ». La campagne lancée en janvier fixait à la fin d’avril la date limite pour recruter de nouveaux membres ayant droit de vote. Cette fois, le délai sera à peine plus long, la vente de cartes pour le congrès du 10 septembre s’arrêtera le 3 juin. Le clan Charest craignait que cette limite ne soit devancée à la mi-mai, voire au début de mai. Mais mercredi soir, les apparatchiks conservateurs en ont décidé autrement. Il faut comprendre que le seul autre aspirant en lice, Pierre Poilievre, avait tout intérêt à ce que le PCC presse le pas, un congrès avant l’été aurait été le scénario idéal pour le député ontarien qui a lancé son organisation à fond de train dès le départ d’Erin O’Toole.

Charest peut compter sur l’appui solide du député Alain Rayes au sein du caucus. Au Québec, sa garde rapprochée est demeurée la même depuis les années Mulroney : l’avocat Marc Dorion, à Québec, Dany Renaud, François Pilote et Luc Ouellet, tous trois relationnistes à Montréal ou à Québec.

Pour expliquer sa décision de 2020, Charest avait aussi fait valoir que le Parti conservateur après Stephen Harper était différent du Parti progressiste-conservateur de Brian Mulroney. « Ce n’est plus le même parti », confiait-il en privé à l’époque. L’aile « progressiste » avait été battue en brèche. Son entourage évoquait même un sondage qui aurait montré que les « red tories » ne représentaient plus que 15 % des 200 000 membres qui avaient voté lors du congrès précédent, celui qui avait choisi Andrew Scheer. Deux ans plus tard, les adhérents sont tout aussi à droite, voire davantage, à en juger par les nombreux déboires d’Erin O’Toole. Pour devenir chef, il avait beaucoup promis à l’aile droite de son parti, sur la question environnementale notamment. Son louvoiement en campagne électorale avait scellé son sort auprès de l’électorat conservateur.

Il ne sera pas un « red tory »

À la veille de se lancer dans une campagne au leadership, Charest mise clairement sur cette même frange, sur l’aile « conservatrice » plutôt que « progressiste ». Dans le camp Poilievre, on rappelle volontiers que, premier ministre québécois, Charest s’était opposé à la volonté de Stephen Harper d’abolir le registre des armes à feu et avait appuyé la taxation du carbone. Qu’il avait fait monter de 2 points de pourcentage la taxe de vente au Québec. On rappelle aussi qu’il faisait partie de l’équipe juridique canadienne du géant chinois Huawei, pendant que Pékin détenait Michael Kovrig et Michael Spavor. Dans une entrevue publiée jeudi par le Globe and Mail, Jean Charest soutient désormais qu’il suivrait l’avis des alliés du Canada de refuser la participation de la firme chinoise au réseau canadien 5G.

Mais surtout, l’aspirant chef y précise qu’il compte instaurer plus de discipline fiscale dans les dépenses fédérales, mettre fin aux divisions régionales et rétablir l’image du Canada sur la scène internationale. Engagement déterminant, il promet de « diriger comme un conservateur » ; « je n’essaierai pas de diriger comme un red tory » (tenant de l’aile progressiste), laisse-t-il tomber.

Comme il l’avait fait devant une poignée de gens d’affaires montréalais, en 2020, il soutient que personne ne connaît davantage le Canada que lui.

Comme ex-premier ministre du Québec, « j’apporterais à la fonction une véritable compréhension du système fédéral, j’ai été des deux côtés », a-t-il expliqué au Globe and Mail. C’est, insiste-t-il, « carrément une valeur conservatrice que faire en sorte que le système fédéral fonctionne, tout en respectant les compétences [des ordres de gouvernement] ».

Pour devenir chef du Parti conservateur, en 1983, Brian Mulroney avait lui aussi clairement choisi de plaire à l’aile conservatrice. Il s’en défendait toutefois. Le chef sortant, Joe Clark, qui tentait de rester en poste, était à l’évidence le « red tory » dans l’équation.

Dans son autobiographie, Mulroney souligne qu’à chaque occasion durant les 52 jours de la campagne au leadership, il rappelait aux militants amers la défaite de Clark. Après les Diefenbaker, Standfield et Joe Clark, les conservateurs paraissaient condamnés à rester éternellement dans l’opposition s’ils ne choisissaient pas un chef capable de rallier toutes les régions du pays. Publiquement mercredi soir, Charest rappelait que le Parti conservateur devait rester « un parti fidèle à son histoire, qui représente chaque région du Canada ». Car Jean Charest a la même stratégie que Mulroney à l’époque ; il promet un programme conservateur, tout en incarnant la possibilité de rallier le Québec.

Douce ironie : à l’époque, dans Sherbrooke, le jeune militant Charest appuyait… Joe Clark !