On pourrait assister au retour de Jean Charest ou à la création d’un nouveau parti

(Ottawa ) La mutinerie d’un groupe de députés du Parti conservateur qui a forcé le départ de leur chef Erin O’Toole il y a 10 jours a déjà provoqué un léger mouvement des plaques tectoniques sur la scène fédérale.

D’autres secousses sismiques plus importantes sont à prévoir. Elles pourraient conduire à un tremblement politique d’une forte intensité : le possible retour de Jean Charest à Ottawa, ou encore la création d’un nouveau parti regroupant des progressistes conservateurs (Red Tories) et des libéraux croyant aux vertus de la discipline budgétaire (Blue Liberals).

Au cours des dernières semaines, des députés et des stratèges conservateurs se réclamant de l’aile progressiste du parti ont évoqué en coulisses l’idée de former un nouveau véhicule afin d’occuper le centre de l’échiquier politique, selon des informations obtenues par La Presse. Ils ont contacté des libéraux insatisfaits de la gestion des affaires de l’État du gouvernement Trudeau, en particulier les finances publiques et l’économie. Leur idée n’a pas été balayée du revers de la main.

Pour l’heure, ce projet demeure embryonnaire et il s’inspire des succès de François Legault lorsqu’il a créé la Coalition avenir Québec. Il pourrait toutefois prendre son envol selon le dénouement de la course à la direction du Parti conservateur. D’autant plus que de nombreux libéraux, notamment en Ontario, déplorent que le Parti libéral rivalise avec le Nouveau Parti démocratique sur le flanc gauche depuis l’arrivée au pouvoir du gouvernement Trudeau en 2015. L’ancienne ministre du gouvernement libéral de Dalton McGuinty en Ontario Sandra Pupatello fait partie de ce groupe de libéraux qui se sentent orphelins sur la scène fédérale. Et elle est loin d’être un cas unique. Au Québec, on a sondé l’intérêt de l’ancien maire de Montréal Denis Coderre, qui a aussi été ministre dans le gouvernement libéral de Jean Chrétien.

Il s’agit effectivement d’un scénario qui circule de plus en plus en coulisses, que cette possibilité de créer un nouveau parti de centre qui ferait appel à ceux et celles que l’on qualifie de Red Tories et de Blue Liberals.

Yan Plante, ancien chef de cabinet de l’ex-ministre conservateur Denis Lebel

« Dans l’hypothèse où l’issue de la course à la chefferie conservatrice accentuait la division au sein du parti, l’éclatement me semble probable. Au même moment, chez les libéraux, certains considèrent que le parti est maintenant beaucoup trop à gauche depuis le début des années Trudeau. Il y a donc des orphelins là aussi. Ainsi, il est légitime d’envisager un scénario dans lequel il y aurait soudainement de l’espace au centre de l’échiquier politique canadien pour un nouveau parti », a ajouté M. Plante, aujourd’hui directeur principal chez TACT Intelligence-conseil.

« Est-ce qu’il y a de la place sur l’échiquier politique pour un nouveau parti centriste qui rejette le tribalisme qu’épousent les libéraux et les conservateurs ? Je suis de plus en plus d’avis que la réponse est oui », écrivait d’ailleurs samedi l’influent chroniqueur John Ivison, du National Post.

Au Québec et dans les provinces atlantiques, des conservateurs redoutent une dérive à la droite de leur parti si le député conservateur Pierre Poilievre devient le prochain chef. Leur crainte s’est amplifiée durant le siège de la ville d’Ottawa par un groupe de manifestants qui réclament la fin des mesures sanitaires. M. Poilievre a donné son appui sans équivoque à ces manifestants, même si certains des organisateurs sont associés à l’extrême droite. « Je suis fier des camionneurs et ils ont mon appui », a-t-il confié au National Post jeudi dernier. Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a eu tôt fait de condamner cette sortie en disant qu’aucun élu ne pouvait appuyer un mouvement qui fait fi des lois et nuit à l’économie canadienne.

Pour contrer une victoire de Pierre Poilievre, des députés conservateurs du Québec courtisent avec ardeur l’ancien premier ministre du Québec Jean Charest. Ce dernier, qui a été chef du Parti progressiste-conservateur avant de faire le saut en politique provinciale en 1998 pour redresser le camp fédéraliste au Québec après la courte victoire du Non au référendum de 1995, y réfléchit très sérieusement. Il pourrait annoncer ses intentions d’ici une semaine.

Si j’avais à gager un 10 $ sur sa candidature, je ne serais pas trop nerveux. Il reçoit des appuis qui viennent de partout au pays. Ce n’est pas juste au Québec.

Une source conservatrice bien au fait de la réflexion que mène M. Charest

Selon nos informations, l’ancien premier ministre Brian Mulroney l’encourage à effectuer un retour en politique. Samedi, Le Devoir a rapporté qu’un autre ancien premier ministre, Stephen Harper, n’a pas l’intention de s’immiscer dans la course pour lui barrer la route, comme il comptait le faire en 2020 quand M. Charest avait songé à briguer la direction du Parti conservateur après la démission d’Andrew Scheer.

Le député Alain Rayes fait partie du groupe d’élus qui tentent de convaincre M. Charest. Il a décidé de mettre tout son poids dans la balance en démissionnant de son poste de lieutenant politique – un poste qui l’obligeait à rester neutre dans la course s’il l’avait conservé.

« Les gens veulent un chef d’État pour gouverner le pays. Ils voient Justin Trudeau qui est incapable de prendre des décisions. Il veut gérer la frontière en Ukraine, mais il n’est même pas capable de s’occuper de la frontière canado-américaine », a soutenu dimanche Alain Rayes.

Selon nos informations, l’ancien ministre de la Justice Peter MacKay, qui est arrivé deuxième derrière Erin O’Toole en 2020 durant la dernière course à la direction du Parti conservateur, pourrait se lancer dans la course. « Il y réfléchit très sérieusement. Et la décision de Jean Charest n’influencera pas la sienne », a indiqué une source conservatrice qui est au courant des intentions de M. MacKay, également associé à l’aile progressiste du parti.

La journaliste Tasha Kheiriddin brûle également d’envie de se lancer dans la course. Bilingue, native de Montréal et avocate de formation, Mme Kheiriddin a aussi la cote auprès de l’aile progressiste du parti.

« Les conservateurs qui sont socialement progressistes souhaitent d’abord donner une chance à la course à la chefferie et à l’unité du parti. Ça demeure probablement le chemin le plus rapide vers une victoire électorale parce que les libéraux seront vulnérables la prochaine fois et feront face à un vent de changement. Par contre, si ça ne fonctionne pas, il leur faudra bien avoir une option politique », souligne Yan Plante.