(Ottawa) En 24 heures, le message de trois minutes qu’a diffusé le député Pierre Poilievre samedi soir sur son compte Twitter pour annoncer qu’il se lançait dans la course à la direction du Parti conservateur a été visionné 3,3 millions de fois en anglais et 133 000 fois en français.

En politique canadienne, rarement un message a suscité autant d’intérêt. « Je me présente comme futur premier ministre pour vous redonner le contrôle de votre vie », affirme le principal intéressé dans son message, bien servi par une voix qui porte.

Avant de se présenter comme premier ministre, Pierre Poilievre doit d’abord et avant tout remporter la course à la direction. Mais dans l’esprit de plusieurs stratèges conservateurs, l’affaire est entendue. Les appuis qu’a déjà obtenus le député de Carleton, une circonscription en banlieue d’Ottawa, devraient faire réfléchir tout autre candidat qui voudrait se frotter à lui.

Certains se demandent même si course il y aura à la lumière du départ canon qu’a connu M. Poilievre.

Chose certaine, son message a fait le bonheur de la base militante du Parti conservateur, qui a vite tourné la page sur le départ forcé d’Erin O’Toole mercredi, à la suite d’un vote sans appel des députés lors de la dernière réunion du caucus. Il a même eu des échos jusqu’aux États-Unis.

« Trudeau vient d’avoir un concurrent », a écrit sur son compte Twitter Paul Gosar, républicain de l’Arizona qui est membre de la Chambre des représentants à Washington. M. Gosar est un irréductible partisan de l’ancien président Donald Trump et il a été décrit récemment par le quotidien britannique The Guardian comme « l’homme le plus dangereux du Congrès » parce qu’il continue de propager les faussetés au sujet de la dernière élection présidentielle voulant qu’il y ait eu une immense fraude.

Reconnu pour ses attaques mordantes et ses questions incisives à la Chambre des communes, Pierre Poilievre n’a pas attendu que le comité organisateur de la prochaine course à la direction fixe les règles de la campagne, le plafond de dépenses et le coût d’entrée pour officialiser ce qui était un secret de Polichinelle dans les rangs conservateurs depuis quelques semaines.

« Pour la première fois depuis Brian Mulroney, nous avons la possibilité d’avoir un chef qui va gagner le débat en français et le débat en anglais durant une campagne électorale », a résumé un partisan de Pierre Poilievre en relevant ses qualités indéniables d’orateur.

Si plusieurs députés conservateurs ont déjà donné leur appui à Pierre Poilievre, sa candidature provoque des remous au Québec. Le député conservateur de Richmond-Arthabaska, Alain Rayes, a décidé dimanche de quitter ses fonctions de lieutenant politique pour se dégager de son obligation de neutralité afin d’appuyer un candidat de son choix. S’il renonce à ce poste, c’est qu’il n’a pas l’intention d’appuyer Pierre Poilievre, vu par certains comme étant trop clivant en raison de ses positions tranchées sur certains enjeux, notamment le rôle des médias traditionnels dans une démocratie.

« La prochaine course à la chefferie sera déterminante pour le Parti conservateur du Canada. Je souhaite y jouer un rôle important en soutenant un candidat ou une candidate. Je n’ai donc d’autre choix que de quitter mes fonctions actuelles. Mon vœu le plus cher est que le Parti conservateur du Canada se dote d’un chef représentant les idéaux et les valeurs progressistes, de centre droit économique et qu’il soit en mesure d’unir l’ensemble de nos membres autour d’un objectif commun ; déloger le gouvernement libéral de Justin Trudeau », a-t-il déclaré par voie de communiqué.

PHOTO ADRIAN WYLD, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Alain Rayes, député conservateur de Richmond-Arthabaska

La décision de M. Rayes a contraint la cheffe intérimaire du Parti conservateur, Candice Bergen, à nommer un nouveau lieutenant politique au Québec. Elle a jeté son dévolu sur le député de Mégantic-L’Érable, Luc Berthold, à qui elle a aussi confié les fonctions de chef adjoint.

Au Québec, aucun des 10 députés conservateurs n’a encore donné son appui à Pierre Poilievre, contrairement aux élus des autres provinces. La prudence est de mise, même si le sénateur conservateur du Québec Léo Housakos a la ferme intention de se ranger résolument derrière Pierre Poilievre.

En coulisses, les tenants de l’aile progressiste du parti cognent à la porte de l’ancien premier ministre Jean Charest, qui avait sérieusement songé à briguer la direction du Parti conservateur durant la dernière course.

M. Charest, qui a été ministre dans l’ancien gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney et qui a été chef du parti avant de faire le saut en politique provinciale en 1998, a reçu de nombreux appels. Récemment nommé au conseil d’administration du CN, il a accepté de réfléchir à une éventuelle course. En privé, l’ancien premier ministre du Nouveau-Brunswick Bernard Lord l’a invité à se lancer dans la course, selon nos informations.

« Jean Charest pourrait battre facilement Justin Trudeau en campagne électorale. Son plus gros défi, ce serait de gagner la course à la direction du Parti conservateur », a indiqué une source conservatrice qui aimerait le voir sauter dans l’arène. Pour que Jean Charest l’emporte, le chemin de la victoire passerait par le Québec et les provinces atlantiques ainsi que la grande région de Toronto.

D’autres candidats pourraient aussi se manifester. La députée Leslyn Lewis, coqueluche des groupes antiavortement au sein du Parti conservateur, songe à être de nouveau sur les rangs. Elle est arrivée troisième après Erin O’Toole et Peter MacKay durant la dernière course. Le maire de Brampton, Patrick Brown, un ancien député fédéral qui est devenu chef du Parti conservateur de l’Ontario avant de démissionner dans la disgrâce à la suite d’allégations d’inconduite sexuelle, multiplie les appels. Il tente de mobiliser les membres du parti qui s’opposent à la Loi sur la laïcité de l’État au Québec. La chroniqueuse politique au National Post Tasha Kheiriddin s’active aussi au téléphone. Bilingue, native de Montréal et avocate de formation, Mme Kheiriddin a la cote auprès de l’aile progressiste du parti.

Devant l’impression que Pierre Poilievre est au volant d’un rouleau compresseur, les autres aspirants devront se mouiller rapidement s’ils veulent avoir une chance de le stopper.