(Québec) Ça sent le Coroplast, se plaisait à dire Mario Dumont, chef adéquiste, quand il percevait l’approche du déclenchement des élections. Il y avait cette odeur de pancarte en plastique dans l’air à l’Assemblée nationale à l’occasion du retour des députés. Ce n’est pas une rentrée parlementaire habituelle que l’on a vue cette semaine, mais plutôt le début de la précampagne, à un an des élections. État des forces après ce départ mouvementé.

Des attaques de Legault qui camouflent les ratés

Les élections fédérales ont manifestement inspiré François Legault. Le premier ministre a voulu lancer la précampagne au Québec dès maintenant et imposer ses thèmes. Il a tiré à boulets rouges sur le « woke » Gabriel Nadeau-Dubois ; et il l’a fait deux jours de suite ! C’est clair : la CAQ veut faire de Québec solidaire son principal adversaire en vue des élections, dans le but de marginaliser le Parti libéral et le Parti québécois. François Legault n’a toutefois pas manqué de malmener la cheffe de la « succursale du Parti libéral du Canada », Dominique Anglade, au moment même où elle opère un virage nationaliste. En politique, dit-on, il faut définir son adversaire avant qu’il ne le fasse lui-même. Dire qu’en juin, François Legault promettait d’être « plus zen » à la rentrée… Pour le reste, ce fut une rentrée difficile pour le gouvernement. Les ratés du déploiement des tests rapides dans les écoles ont embarrassé – encore – le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge. La sortie du ministre de la Santé et des Services sociaux, Christian Dubé, qui s’est montré surpris de l’ampleur de la pénurie de main-d’œuvre, a été tournée en ridicule par l’opposition. L’annonce du premier ministre sur d’éventuelles mesures d’incitation pour le recrutement d’infirmières était brouillonne, alors que les ministres Sonia LeBel (Trésor) et Eric Girard (Finances) ne semblaient pas savoir eux-mêmes où s’en va le gouvernement. Les flammèches au Salon bleu ont éclipsé le projet de loi du ministre Simon Jolin-Barrette sur la création d’un tribunal spécialisé en matière de violence sexuelle et conjugale.

Une bourde qui fait mal au PLQ

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

André Fortin, leader parlementaire du Parti libéral du Québec

Le retour au parlement a bien mal commencé pour le Parti libéral du Québec. Le leader parlementaire André Fortin a mis sa cheffe dans l’embarras, avouant avoir joué le rôle de conseiller auprès de Justin Trudeau en vue des débats des chefs fédéraux. Un cadeau pour François Legault. « C’est qui, le vrai patron du leader ? Est-ce que c’est la cheffe de l’opposition officielle ou c’est Justin Trudeau ? », a-t-il lancé. M. Fortin a tenté de rectifier le tir en déposant jeudi une motion pour « dénoncer toutes les promesses d’ingérence dans les compétences du Québec mises de l’avant par plusieurs partis politiques fédéraux ». Cette histoire a parasité le message du PLQ. Les stratèges libéraux se sont mordu les doigts en voyant Gabriel Nadeau-Dubois déclarer que François Legault « n’a pas le droit d’expulser symboliquement de la nation québécoise » ceux qui « sont en désaccord avec lui ». C’est le PLQ qui aurait dû faire cette sortie, résume-t-on. Dominique Anglade paraît plus à l’aise en Chambre et ne s’est pas laissé marcher sur les pieds, répliquant à François Legault qu’il est en train de jouer au « curé » des années 1950 en disant aux gens « comment penser et pour qui voter ». Ses efforts pour mettre à l’avant-scène la crise, très importante, dans les services de garde ont toutefois été vains. Elle a trouvé un os à gruger avec la pénurie de main-d’œuvre que François Legault a banalisée dans le passé.

Bonne entrée en scène de Nadeau-Dubois

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Gabriel Nadeau-Dubois, chef parlementaire de Québec solidaire

Baptême du feu réussi pour Gabriel Nadeau-Dubois comme chef parlementaire de Québec solidaire. Il a piqué au vif François Legault en le comparant à Maurice Duplessis et en lui reprochant de « s’autoproclamer père de la nation québécoise ». Il a cependant glissé en disant que « jouer à “ne touche pas à ma compétence” avec Ottawa, honnêtement, ça ne [l]’intéresse pas tant que ça ». Il a précisé ensuite que c’est parce que son parti veut « faire un pays » – une ferveur indépendantiste qu’on ne l’entend pas très souvent manifester. Avec sa volonté d’interdire l’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures, le gouvernement tente d’enlever des munitions à Québec solidaire qui a fait de cet enjeu une priorité depuis longtemps. QS a d’ailleurs déposé un projet de loi en ce sens cette semaine. Autre petite victoire pour le parti de gauche : après un long combat de sa part pour obtenir plus de transparence à l’Assemblée nationale, les députés de tous les partis ont divulgué pour la première fois leurs rapports de dépenses. Son principal ennemi est à l’interne, comme on l’a vu le printemps dernier avec la crise provoquée par son Collectif antiraciste décolonial.

Le défi demeure entier pour le PQ

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Joël Arseneau, chef parlementaire du Parti québécois

Succéder à Pascal Bérubé comme chef parlementaire est toute une commande pour Joël Arseneau. Le député des Îles-de-la-Madeleine s’est tenu loin du style agressif qui a marqué la rentrée. C’est manifestement le mot d’ordre au Parti québécois. La députée Véronique Hivon a plaidé pour un « changement de ton » et pour qu’on « revienne sur le fond des choses ». Le défi du PQ demeure de se démarquer et de retenir l’attention, une tâche toujours aussi ardue. Quand François Legault est prêt à dire en plein Salon bleu que « le Parti québécois et la CAQ sont les deux seuls partis qui défendent la nation québécoise ici, à l’Assemblée nationale », c’est qu’il ne perçoit pas Paul St-Pierre Plamondon comme une grande menace. Comme si la situation n’était pas assez difficile, l’appui d’Yves-François Blanchet au troisième lien du gouvernement Legault embarrasse le chef péquiste. Difficile de dire si une bonne performance du Bloc québécois lundi soir donnerait une bouffée d’oxygène au PQ tant M. Blanchet veut jouer le rôle de porte-parole du gouvernement Legault à Ottawa et tant il relègue la souveraineté à l’arrière-scène, contrairement au PQ.

Duhaime discret… pour l’instant

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Éric Duhaime, chef du Parti conservateur du Québec

Le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime, s’est abstenu de tenir un point de presse avec sa députée Claire Samson pour la rentrée. On le comprend. Depuis des mois, il érige l’Alberta en modèle pour sa gestion de la pandémie. Cet été, il saluait la levée des mesures sanitaires dans la province, soutenant que le Québec devait l’imiter au plus vite. Or le premier ministre Jason Kenney vient de faire volte-face : « Il est désormais évident que nous avions tort et pour cela je vous présente mes excuses », a-t-il dit aux Albertains. Il réinstaure l’état d’urgence, impose des restrictions de toutes sortes et adopte lui aussi le passeport vaccinal… En Chambre, Claire Samson s’est fait rappeler à l’ordre par le président parce qu’elle ne portait pas bien son masque. Elle a utilisé sa première question comme députée conservatrice pour déplorer le fait que les travailleurs de la santé non vaccinés au 15 octobre seront suspendus sans solde. Il faut s’attendre bientôt à un coup d’éclat d’Éric Duhaime et de la députée : près de 115 000 personnes ont signé leur pétition contre le passeport vaccinal jusqu’ici ; il s’agit de l’une des pétitions ayant obtenu le plus de signatures en une décennie à l’Assemblée nationale.